Les articles de Grammaire de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ont été rédigés par César Chéneaux Du Marsais du Tome I au Tome VII et par Nicolas Beauzée, Professeur à l’Ecole Royale Militaire pour les tomes suivants. Ce dernier, qui mènera l’Encyclopédie Méthodique, Grammaire et Littérature (1782-1786) signe tous les articles à partir de l’article "Grammaire", excepté l’article "Grammairien" du Tome VII. Ce Tome de l’Encyclopédie s’ouvre par l’Éloge de M. Du Marsais par d’Alembert (p. i-xiij) :
César Chesneau, Sieur Du Marsais, Avocat au Parlement de Paris, naquit à Marseille le 17 Juillet 1676. (p.i)
Le but des éloges dans l’Encyclopédie est d’être un objet d’instruction pour les lecteurs et "un recueil de Mémoires sur l’état présent de la Philosophie". Celui de Du Marsais remplit les conditions fixées par l’éditeur quant à la partie mathématiques. Le "philosophe grammairien" disparaît le 11 Juin 1756. D’Alembert fait paraître son éloge en 1757. Il n’y est donc pas question de l’article "Philosophe" de l’Encyclopédie qui appartient au Tome XII de 1765. Toutefois, d’Alembert souligne que de nombreux ouvrages de Du Marsais ne sont point parus (p.xj). Le texte intitulé Le Philosophe en fait partie. Ces ouvrages, soit n’ont point été publiés, soit ont été vendus sous le manteau. D’Alembert ne les connaît pas forcément. En 1743, se vendaient de la sorte deux livres, Liberté nouvelle de penser et La Religion du siècle... : un même texte vendu sous deux titres différents qui contenaient le texte de Du Marsais.
Selon Herbert Dieckmann, Le Philosophe a été écrit par Du Marsais en 1730 et publié en 1743. Les Nouvelles Libertés de penser qui rassemblaient des courts traités de philosophie fait paraître en 1743 à Amsterdam, un texte anonyme : Le Philosophe. Ici commence le parcours de ce texte. Dieckmann suit les pas de I. O. Wade et repère les traces du mouvement de la philosophie clandestine. Ses recherches menèrent Dieckmann à l’affirmation de Voltaire comme auteur de l’article de l’Encyclopédie, et il apporte la preuve que le texte de 1743 n’est pas le même que celui de l’Encyclopédie.
Le parcours qui mène à Voltaire passe par la publication des mêmes textes parus dans les Nouvelles Libertés de penser et contenant Le Philosophe, dans Examen de la religion dont on cherche l’éclaircissement de bonne foy, attribué à Mr. de St. Evremond, en 1745. La deuxième partie de cet Examen correspond au texte des Nouvelles Libertés de penser. Le 8 janvier 1764, Voltaire écrit à d’Alembert :
L’ouvrage, qui est en partie de Dumarsais, et qu’on attribue à Saint-Evremond, se débite dans Paris, et je suis étonné qu’il ne soit point parvenu jusqu’à vous. Il est écrit à la vérité trop simplement ; mais il est plein de raison.
En 1773, Voltaire publie à la suite de sa tragédie des Lois de Minos, un abrégé du Philosophe et désigne Dumarsais comme auteur. Or, cet abrégé est la reproduction de l’article de l’Encyclopédie :
"Cette pièce est connue depuis longtemps, et s’est conservée dans les portefeuilles de tous les curieux ; elle est de l’année 1730." This indication would make the redaction of The Philosophe precede its publication by thirteen years. The text as published by Voltaire is considerably abridged and shows important stylistics changes. (p. 7).
La confirmation de l’attribution du texte Le Philosophe à Du Marsais revient à l’ami de Diderot, Jacques-André Naigeon qui publie Le Philosophe en 1770 dans un Recueil philosophiques ou Mélange de pièces. Puis, directeur des volumes de l’Encyclopédie Méthodique, Philosophie ancienne et moderne (1791-An II), il publie à nouveau le texte en confirmant Du Marsais pour auteur et, selon Dieckmann, il l’envoie à d’Alembert. Ce dernier découvre l’écrit et s’enthousiasme : "c’est un ouvrage d’or : opus aureum" (p.10-11).
Enfin, Dieckmann termine ce parcours historique qui a mené premièrement à un texte de Voltaire, puis deuxièmement d’une part à son attribution au véritable auteur, Du Marsais, et d’autre part au texte original, celui de 1743, par l’existence de l’écrit Le Philosophe dans les Oeuvres complètes de Voltaire éditées par Beaudouin. Il dit que l’article de l’Encyclopédie est basé sur l’arrangement fait par Voltaire (p.66). Selon nous, il est probable que l’article de l’Encyclopédie soit la version de Voltaire qui connaissait très bien le texte en 1764 mais que, comme tous les articles de l’Encyclopédie datant de 1765, il ait subi la censure du libraire Le Breton. Mais ceci est une conjoncture.
Reste que l’"ouvrage d’or" écrit en 1730, connaît donc quatre versions que Dieckmann compare :
Dieckmann donne dans son ouvrage ces quatre textes côte à côte. Il conclut que Le Philosophe a été un texte très populaire au XVIIIe siècle et que, lorsque l’Encyclopédie a eu besoin de traiter l’article, elle a pris ce portrait dont il vient d’authentifier les origines et les différentes versions.
Voilà qui confirme les premières phrases de l’Éloge par d’Alembert comme quoi Du Marsais a vécu pauvre et ignoré au sein d’une patrie qu’il avait instruite. Texte très populaire et auteur inconnu : pour Le Philosophe, une position divine...
Pour notre part, nous avions établi dans l’Annexe de notre thèse sur La systématique de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, le texte ci-dessous. Notre objet n’était pas Du Marsais et Voltaire, mais le texte de Du Marsais et celui de l’Encyclopédie. Le but était de rétablir l’intégralité du texte de Du Marsais pour en montrer le sens philosophique en rapport avec ce que l’Encyclopédie en avait fait ou bien avait été obligée d’en faire. Aussi, seuls deux textes nous ont intéressés : celui de Du Marsais édité en 1743 et celui de l’Encyclopédie (1765 remanié par Voltaire). Le lecteur les trouvera donc à la suite avec des variantes dans les caractères afin de déterminer :
1. L’original de Du Marsais
2. Le texte de l’Encyclopédie pris à Du Marsais
3. Le texte de l’Encyclopédie qui n’appartient pas à Du Marsais.