Groupe de recherche sur l'acte philosophique
Présentation
Le groupe de recherche sur l’acte philosophique a été
créé en 2005 autour d’un séminaire sur la pratique
de la philosophie et sur sa théorisation à l’âge
classique. Ce travail se poursuit en 2006-2007 ; il s’agit d’examiner
les modifications que connaît cette problématique à
l’époque des Lumières.
L’acte philosophique à l'âge classique
Parmi les grands bouleversements qui inaugurent l’âge classique
figure le changement du rapport des philosophes à leur propre pratique.
Ainsi, tandis que Bacon relève les brouillages que la nature humaine
introduit dans la pensée (rendant celle-ci spécifiquement
humaine), Descartes s’en saisit comme de l’acte fondamental
qui révèle son existence, où Hobbes isole le langage
comme structure première. Par là, la pratique philosophique
acquiert une réalité nouvelle : elle ne se réclame
plus d’un accès à des essences éternelles lui
permettant de sortir du monde, mais s’oriente vers une existence qui
se donne, avec ces principes, les moyens de les mettre en oeuvre. Les questions
de méthode, le prestige d’une cohérence interne (les
mathématiques), l’effort pour retrouver dans la nature, et
dans l’homme (Spinoza), et en Dieu (Leibniz) les règles de
la raison, tout l’extraordinaire déploiement d’énergie
consacré à l'essor des connaissances au XVIIe siècle,
ne sont concevables qu’à prendre la mesure de ce qu’a
pu représenter, pour ces hommes, le fait de penser.
Ce fait, ils n’ont eu de cesse de le construire. Ce faisant, ils l’ont
vu se défaire en différents aspects que leurs systèmes
tentèrent de faire tenir ensemble. Il y avait l’acte accompli
par l’esprit, donc il y eut l’esprit accomplissant cet acte
; et cet accomplissement se trouva dans l’idée, et l’idée
se saisit en une définition, et cette définition était
faite de mots : c’est ainsi que nos philosophes rencontrèrent
à la fois l’évidence performative de la pensée,
et la difficulté théorique d’en concevoir l’unité.
Dès lors, interroger le principe qui préside à cette
unité, c’est tâcher de comprendre, entre autres, comment
le sujet philosophant se constitue. Car si l’âge classique pose
les premiers jalons de la positivité de la science conçue
comme recherche, celle-ci ne laisse pas d’avoir pour référence
le savoir accompli (l’omniscience). Par conséquent, il faut
nécessairement rendre compte, dans l’événement
de la pensée, de la place de l’homme dans son rapport aux idées,
mais aussi dans son rapport à Dieu. Et quel écart entre les
deux ? Et dans un tel contexte, qu’est-ce que philosopher ?
Ces questions, on le sait, sont à l’époque les plus
brûlantes de toutes. Il est vrai qu’elles s’inscrivent
dans le cadre d’une lutte politique contre le pouvoir de ceux que
les « philosophes » appellent « théologiens »
(par exclusion réciproque des deux groupes). Mais il est remarquable
que les textes des uns mettent surtout en cause l’usage que les autres
font du langage. Au contraire, la tâche proprement philosophique qu’ils
s’assignent à eux-mêmes consiste en un spectaculaire
resserrement terminologique, directement opposé au vocabulaire scolastique.
C’est donc aussi dans leur rapport au langage que les philosophes
prétendent distinguer la spécificité de leur activité.
Mais qu’est-ce (à dire) ? L’acte philosophique est-il
pensée, parole, ou leur mise en rapport (selon quel troisième
critère) ?
Enfin, il est certain que cet acte se prolonge et s’exprime au-delà
du champ des discours. Et tandis que le penseur classique est incontestablement
un savant en quête de science, il convient de savoir si la raison
n’a son lieu qu’en l’étude (expériences,
méditations et travaux d'écriture) ou bien détermine
une certaine action (pratique). Exercé dans le cadre d'autres activités
humaines que celui de la connaissance, mais dont la pensée n’est
pas absente, l’acte philosophique a-t-il encore une réalité
?
C'est en distinguant (les choses, les mots, les idées, les
actes) que la raison classique s’est voulue éclairante.
Interroger l’acte philosophique à l’âge classique,
c’est donc suivre à la trace la façon dont les philosophes
du XVIIe siècle, sous les bannières communes de la clarté
et de la distinction, ont élaboré le modèle d’une
pensée consciente d’elle-même.
L’acte philosophique à l’époque des Lumières
Au terme d’une première année consacrée à
l’âge classique, le séminaire sur l’acte philosophique
a permis de déterminer différents aspects de la rationalité
propres au XVIIe siècle. Mais si c’est d’abord comme
esprit singulier que le penseur classique tâche de comprendre, c’est-à-dire
d’exprimer le monde afin d’y faire sa place, le tournant du
siècle voit les pratiques qui définissent l’acte de
penser se transformer profondément.
Pour commencer, le travail des hommes du XVIIIe siècle s’inscrit
dans un cadre qui n’est plus seulement celui de collèges savants,
mais fait d’eux les membres d’une société incluant
immédiatement les hommes de pouvoir, les littérateurs, les
femmes. « Ô l’admirable conspiration ! » s’émerveille
l’article final de l’Encyclopédie. Mais comment, dans
cette foule cultivée, reconnaît-on un philosophe ?
Tandis que le sujet philosophant se socialise, le rapport du philosophe
au langage se trouve confronté à d’autres usages de
la parole, et voici que les pistes se brouillent. L’étude,
mêlée en permanence à la conversation, renonce à
la terminologie volontairement technique à laquelle les cartésiens
avaient consacré leurs efforts. Le rapport à l’écrit
s’en trouve modifié, et si les relations avec une presse en
fulgurant essor sont ambiguës, elles n’aboutissent pas moins
à l’ouverture de nouveaux espaces de recherche. La critique
d’art s’y engouffre, et les textes philosophiques eux-mêmes
affichent leur souci du beau style. C’est ainsi que la langue s’assouplit,
et que l’écriture philosophique, portée par une sensibilité
littéraire unique, donne à l’Europe des textes où
l’éclat de l’image le dispute au rythme de la langue.
Dans cet enivrant déploiement de séduction, que devient le
concept ? Est-il légitime d’admettre comme philosophique un
langage qui appartient plus au boudoir qu’à l’Ecole ?
La question, c’est l’évidence, est directement politique
: car l’adresse littéraire de Hume, de Rousseau ou de Vico
est liée à l’usage, désormais systématique,
des langues nationales. Cette profonde transformation dans la langue et
la manière de faire de la philosophie rejaillit donc sur le rapport
des penseurs au pouvoir. De fait, leurs contacts avec les princes se resserre,
mais c’est toujours singulièrement par delà les frontières
; ne pouvant se contenter de seulement dédier les traités,
les philosophes engagent alors l’acte philosophique dans une sorte
de pédagogie à l’usage des grands, qu’ils voudraient
éclairés.
Mais derrière les témoignages fervents pour la promotion du
savoir et de la pensée, il convient d’interroger les moyens
de l’entreprise, pour en comprendre les effets. Au discrédit
général de la métaphysique correspond en effet un scepticisme
de principe auquel seule l’expérience met fin : en ce sens,
il semble que les hommes des Lumières n’aient eu de cesse de
courir le risque du relativisme, pour n’en sortir que par la confiance
en une activité humaine en marche, c’est-à-dire en cours.
La pensée des Lumières évolue ainsi dans un espace
de recherche indéfini, qui semble n’avoir angoissé personne.
Et pour cause : le plus singulier de l’époque est sans doute
que le rapport des penseurs à la science se conçoive sur le
modèle du goût. Voltaire se passionne pour la physique, Diderot
pour la médecine, Rousseau pour la botanique, mais aucun d’entre
eux ne joue de rôle déterminant dans l’histoire de ces
sciences. L’idée du progrès n’est-elle pas liée
à cette distance prise par les philosophes vis-à-vis des savoirs
auxquels ils s’intéressent ? On pourrait voir dans le progrès
la projection diachronique, à l’échelle collective,
d’un bonheur individuel lui-même divisé entre satisfaction
intime et conscience de la constitution sociale de cette satisfaction. Or,
la construction philosophique de ces concepts implique l’esprit d’analyse
au cœur des impressions de l’expérience, et donne une
dimension nouvelle à un sujet philosophant qui se veut très
immédiatement être « sensible ».
C’est ainsi qu’en déplaçant au XVIIIe siècle
l’étude des rapports entre la pensée, le langage et
l’action, nous espérons interroger les manières dont
les hommes des Lumières ont tenté, au moyen d’une rationalité
raisonnable, de réaliser l’unité de l’homme.
Programme du séminaire : l’acte philosophique à l'époque des Lumières
Un lundi par mois de 16h à 18h.
16 octobre à Lyon III : Maxime
Rovere (ENS-LSH)
"Silence et négation : aux fondements de la morale kantienne."
13 novembre à l'ENS-LSH : Mai
Lequan (Lyon-III)
"Efficacité et énergie : l'acte moral selon Kant et Sulzer"
11 décembre à Lyon III : André Charrak (Paris-I)
22 janvier à l'ENS-LSH : Laurent
Jaffro (Clermont-Fd-II)
"Les Lumières britanniques et la métaphysique."
12 février à Lyon III : Bruno
Bernardi (CPGE, lycée Thiers)
"Rousseau ou l'inquiétude des Lumières."
12 mars à l'ENS-LSH : Jean-Michel
Buée (IUFM de Grenoble)
"Les premiers écrits de Hegel et la pensée des Lumières."
2 avril à Lyon-III : Emmanuel
Cattin (Clermont-Ferrand-II)
"Fichte : l'acte de la W-L."
Les séances à Lyon-III ont lieu en salle Dugas
24 (Bâtiment Dugas, entrée au 7 rue Chevreul, 2ème étage,
Métro Jean Macé).
Les séances à l'ENS-LSH ont lieu en salle F112/F113, bâtiment
Formation, 1er étage, entrée au 15 parvis René Descartes,
Métro Debourg)