Projet De anima


Auctoritates aristotelis

De anima

Traduit du latin par Fabienne Pironet

La traduction se fonde sur le texte latin tel qu'il est édité par Jacqueline Hamesse, Les Auctoritates aristotelis. Un florilège médiéval. Étude historique et édition critique, Philosophes Médiévaux, XVII, Louvain-Paris, 1974, pp. 174-189.


Auctoritates Aristotelis, De anima Livre I

(1) La science est du nombre des biens honorables.

(2) Une science est meilleure qu'une autre soit parce que son sujet est plus noble, soit parce qu'elle est plus certaine que l'autre, et pour chacune de ces raisons [1] la science qui traite de l'âme est plus noble et meilleure que les autres sciences naturelles.

(3) La connaissance à propos de l'âme est utile à toute vérité et principalement à la science naturelle.

(4) L'âme est, pour ainsi dire, le principe de tous les animaux.

(5) Autres sont les principes des autres choses.

(6) L'animal universel soit n'est rien soit est postérieur, car <ou bien> il n'est rien [2] dans la nature des choses, <contrairement à ce que> voulait Platon, ou bien, s'il est <quelque chose>, alors il est postérieur, comme le mouvement ou l'intention d'une chose est postérieur à la chose elle-même.

(7) Les accidents contribuent en grande partie à la connaissance de la quiddité, à savoir le sujet ou la définition du sujet.

(8) Le principe de toute démonstration est la quiddité, à savoir la définition du sujet.

(9) Toutes les opérations des <êtres> animés relèvent du composé de corps et d'âme et non de l'âme seulement.

(10) D'où aucune opération de l'âme n'est propre si elle ne communique pas avec un corps, d'où intelliger lui-même n'est pas propre à l'âme, mais au tout conjoint.

(11) L'intellect soit est imagination soit n'est pas sans imagination.

(12) La définition est triple : une qui est donnée relativement à la matière seulement, comme quand on dit qu'une maison est quelque chose qui est constitué de pierres et de bois; une autre est donnée par la forme seulement, comme quand on dit qu'une maison est une chose recouverte d'un toit qui nous protège des fortes chaleurs et des pluies; une troisième qui est donnée par chacune des deux, comme quand on dit qu'une maison est une chose recouverte d'un toit qui nous protège des fortes chaleurs et des pluies et est constituée de pierres et de bois.

(13) Le naturaliste définit par la matière seulement, ou par la matière et la forme en même temps. Il est impossible que les corps des animaux ressuscitent.

(14) Dire que l'âme se réjouit ou est triste, c'est comme si quelqu'un disait qu'elle tisse ou construit.

(15) Si un vieillard avait des yeux comme <ceux d'>un jeune, il verrait comme un jeune.

(16) L'intellect est quelque chose de divin, impassible et incorruptible.

(17) Il est meilleur de dire que l'homme intellige par l'âme plutôt que de dire que l'âme intellige par l'homme. Notre intelliger est corrompu par quelque chose de corrompu à l'intérieur, à savoir l'imagination.

(18) Il convient à un artisan d'utiliser un organe, par contre <il convient> à l'âme <d'utiliser> un corps.

(19) N'importe quelle âme ne peut pénétrer n'importe quel corps, mais toute âme exige un corps qui lui soit propre.

(20) Selon Platon, l'âme est une chose permanente qui se meut elle-même.

(21) Le droit est juge de lui-même ainsi que de l'oblique.

(22) Quand l'âme sort du corps, le corps s'affaiblit et expire.

 

Auctoritates Aristotelis, De anima Livre II

(37) La substance des choses est triple : la matière, la forme et le composé <de matière et de forme>.

(38) La matière est puissance, la forme, par contre, est acte.

(39) L'acte est double, premier et second : premier, comme la science, second, comme spéculer selon la science.

(40) Les choses naturelles sont principes des choses artificielles.

(41) L'âme est acte d'un corps organique physique ayant la vie — c'est-à-dire les opérations de la vie — en puissance.

(42) L'âme est susbtance, c'est-à-dire forme substantielle d'un corps.

(43) Il n'est pas nécessaire de demander si l'âme et le corps font un, et, de manière générale, si la matière et la forme <font un>.

(44) Si l'œil était un animal, c'est la vue qui serait son âme.

(45) L'animé diffère de l'inanimé en cela qu'il vit.

(46) Vivre se dit de quatre manières : croître, sentir, intelliger et être mû selon le lieu; et si une de ces <conditions> se trouve en un <être>, celui-ci est dit vivre.

(47) L'âme meut le corps vers toutes les différences de position, à savoir vers le haut, vers le bas, à gauche, à droite, en avant et en arrière.

(48) L'animal est animal à cause du sens du toucher.

(49) L'âme est le principe par lequel premièrement et principalement nous vivons, intelligeons, sentons et sommes mus selon le lieu.

(50) Les puissances principales de l'âme sont au nombre de quatre : la végétative, la sensitive, la motrice selon le lieu et l'intellective. Elles sont en rapport les unes avec les autres de manière telle que la végétative peut être sans la sensitive, comme dans les plantes, mais non l'inverse, que la sensitive peut être sans la motrice selon le lieu, comme il apparaît dans le cas de certains coquillages, mais non l'inverse, et aussi bien la motrice selon le lieu que la sensitive peuvent être sans l'intellective, comme il apparaît dans le cas des bêtes brutes, mais non l'inverse.

(51) Il y a dans les plantes une âme une en acte, mais multiple en puissance, et c'est pourquoi leurs parties vivent séparées.

(52) L'intellect est séparé des autres puissances de l'âme comme le perpétuel <est séparé> du corruptible.

(53) Nous savons non seulement par la science, mais aussi par l'âme, et encore nous soignons non seulement par la santé, mais aussi par le corps.

(54) D'où toute actualisation dépend non seulement de la forme, mais aussi de la matière, elle dépend cependant plus principalement de la forme.

(55) Les actes des choses qui produisent un acte sont, dans le patient, prédisposition.

(56) Les puissances sont connues par les actes, et les actes par les objets.

(57) La plus naturelle des opérations dans tous les vivants qui sont parfaits, sans privation et n'ont pas une génération spontanée, c'est de générer un semblable à soi, de sorte qu'ils participent selon ce qu'ils peuvent à l'être divin et immortel.

(58) Aucune chose corruptible ne peut rester toujours identique en nombre, elle peut cependant rester une en espèce par génération.

(59) La science est à propos des universaux.

(60) Les universaux sont dans l'âme, mais les particuliers sont en dehors de l'âme.

(61) L'âme intellige quand elle veut, mais elle ne sent pas quand elle veut, car l'objet de l'intellect, à savoir l'universel, est dans l'âme, <tandis que> l'objet du sens, à savoir le particulier, est en dehors de l'âme.

(62) Le sensible est double, par soi et par accident : par accident, comme une substance particulière, par exemple le fils de Diarius.

(63) Le sensible par soi est double : commun et propre.

(64) Les sensibles communs sont au nombre de cinq : la grandeur, le mouvement, le repos, le nombre et la figure. Mais le <sensible> propre est ce qui est senti par soi par un seul sens, comme la couleur par la vue, et ainsi des singuliers.

(65) Il y a cinq sens : la vue, l'ouïe, l'odorat, le toucher et le goût.

(66) Un sens ne se trompe pas à propos de son objet propre.

(67) La couleur est visible par soi, la lumière est acte du diaphane en tant que diaphane.

(68) Le diaphane est un corps transparent, comme l'air, l'eau et un corps céleste. La lumière n'est ni un corps ni le flux d'un corps.

(69) Il est impossible que deux corps se trouvent en un même lieu.

(70) L'illumination ne se produit pas de manière successive et dans le temps, mais elle se produit dans l'instant.

(71) Les ténèbres sont privation de lumière.

(72) La couleur n'est pas visible sans lumière.

(73) Un sensible posé en dehors <de la portée> du sens ne produit pas de sensation.

(74) Le son est causé par la collision de corps frappants l'air violemment.

(75) L'écho est un son produit secondairement par la répercussion d'un son préalablement produit.

(76) La voix est un son d'une chose animée seulement.

(77) La voix est la répercussion de l'air inspiré sur la trachée artère vocale avec intention de signifier.

(78) Aucune chose inanimée ne <produit> de voix.

(79) Les langues remplissent deux fonctions ou opérations de la nature, à savoir dans le goût et le langage.

(80) L'homme sent de manière imparfaite et a un odorat pire que celui de beaucoup d'animaux, de même pour le goût; mais il a un toucher plus certain que celui de tous les <autres> animaux.

(81) L'âme est cause d'un corps vivant selon trois causes : formelle, finale et efficiente.

(82) La fin est double, la fin par grâce de quoi et la fin [grâce] par quoi, c'est-à-dire la fin interne et la fin externe.

(83) À proprement parler, dans l'ordre naturel rien ne se nourrit si ce n'est le vivant.

(84) L'âme végétative a trois puissances : nutritive, augmentative et générative.

(85) Les racines des plantes sont semblables aux bouches des animaux, car toutes deux reçoivent la nourriture.

(86) Le feu augmente à l'infini tant qu'il y a du combustible.

(87) Pour toutes les choses constantes, la nature a posé une limite ainsi qu'une proportion de grandeur et d'augmentation.

(88) Avant la digestion, l'aliment est contraire et dissemblable à celui qui est nourri, mais après digestion, il lui sera semblable.

(89) Tant qu'il vit, il est nécessaire que tout vivant se nourrisse.

(90) Rien ne se génère soi-même, mais se conserve <soi-même>.

(91) Au départ, l'agent et le patient sont dissemblables, à la fin ils sont semblables.

(92) La puissance est double, proche et éloignée ou puissance conjointe à l'acte et <puissance> distante de l'acte : éloignée, comme l'enfant est dit avoir la puissance de servir dans l'armée, proche, comme on dit <cela d'un> homme adulte.

(93) Nommer toute chose à partir de sa fin est juste.

(94) Passion se dit en deux sens. D'une manière, elle est prise pour un certain changement qui se produit par rejet du contraire, et ainsi elle est dite passion au sens propre.

(95) D'une autre manière, elle est la même chose que la santé et la perfection d'une chose en puissance par quelque chose qui est en acte [3], et ainsi elle est dite passion métaphoriquement, comme sentir, intelliger et caetera.

(96) La science est à propos des universaux.

(97) Nous avons un goût et un toucher plus certains que <celui de> tous les animaux, d'où aucun animal ne surpasse l'homme en goûtant et en touchant.

(98) L'homme est le plus prudent des animaux.

(99) Nous disons mentalement aptes ceux qui ont la chair molle et <mentalement> inaptes <ceux qui ont la chair> dure.

(100) Rien ne peut être goûté s'il n'est humide.

(101) Ce n'est pas la chair qui est l'intermédiaire du toucher, mais quelque chose qui est autour de la chair, comme un nerf.

(102) Un intermédiaire en rapport avec l'un des extrêmes a la raison de l'un des extrêmes.

(103) Tout sens est réceptif de toutes les espèces sensibles sans la matière, comme la cire reçoit la figure du sceau en or sans l'or.

(104) Un sensible excellent corrompt le sens.

(105) Les sensibles disparus, l'espèce demeure dans l'imagination.

(106) Il n'est pas nécessaire que tout moteur soit mû.

(107) Le sens commun est une puissance de l'âme qui discerne des sensibles de différents sens en un seul et même temps, comme le doux et le blanc dans le lait.

(108) Comme le dit Homère, telle est la pensée pour les hommes sur la terre : celle qu'amène le père des fils et des dieux , à savoir le soleil.

(109) L'erreur et l'ignorance sont plus propres aux animaux que la science, car en eux l'ignorance est plus parfaite que la science.

(110) <C'est> une même science <qui> traite des contraires.

(111) L'imagination est un mouvement produit par le sens selon un acte selon lequel beaucoup d'animaux agissent et pâtissent.

 

Auctoritates Aristotelis, De anima Livre III

(136) L'intellect est une partie de l'âme. Intelliger est pâtir.

(137) Le rapport de l'intellect aux intelligibles est semblable à celui du sens aux sensibles.

(138) L'intellect possible n'est en acte aucun des êtres avant de les avoir intelligés.

(139) L'intellect n'a pas d'organe dans un corps, mais il est séparé de tout organe corporel.

(140) L'âme intellective est le lieu des espèces intelligibles.

(141) L'intellect, quand il intellige des intelligibles élevés, n'en intellige pas moins <des intelligibles moins élevés>; au contraire, il les intellige mieux.

(142) <C'est> quand il a intelligé d'autres choses, <que> l'intellect peut s'intelliger lui-même.

(143) En toutes choses qui ont une forme dans une matière, la chose et l'être de la chose diffèrent.

(144) L'essence [4] ou quiddité d'une chose est l'objet propre de l'intellect.

(145) L'intellect est simple, impassible et non-mélangé.

(146) L'intellect possible est tout d'abord comme une tablette vierge sur laquelle rien n'est représenté, mais <sur laquelle quelque chose> peut être représenté.

(147) Notre intellect s'intellige lui-même comme il intellige les autres choses, par les espèces des autres choses.

(148) Dans les choses séparées de la matière, l'intelligent et l'intelligé sont une seule et même chose.

(149) De même qu'en la nature de toutes choses il y a quelque chose qui peut tout d'abord être produit et <ensuite> produire toutes les choses de ce genre, de même dans l'âme il est nécessaire que ces deux choses existent : une selon laquelle tous les intelligibles peuvent être produits et qu'elle les reçoive, et c'est l'intellect possible, et une autre qui peut produire tous les intelligibles, et c'est l'intellect agent.

D'où la puissance de l'âme intellective est double, à savoir <l'intellect> agent et <l'intellect> possible. L'intellect agent est comme la lumière, parce que la lumière produit visibles en acte des couleurs <visibles> en puissance, comme l'intellect agent produit intelligibles en acte les intelligibles en puissance.

(150) L'agent est plus noble et plus honorable que le patient, et la forme que la matière.

(151) L'intellect est immortel et perpétuel.

(152) L'opération de l'intellect est double : une qui est dite appréhension des termes simples.

(153) L'autre <opération de l'intellect> est la composition et la division des termes simples appréhendés, sous quelle <opération> est comprise une troisième, à savoir la« ratiocinatio remota ».

(154) La privation est connue par habitus.

(155) Notre intellect est un être en puissance.

(156) Dans un individu, la puissance précède l'acte; mais absolument parlant l'acte précède la puissance.

(157) Toutes les choses qui sont produites sont produites par un être en acte.

(158) L'intellect possible est double, à savoir pratique et spéculatif. <L'intellect> spéculatif considère la chose de manière absolue. <L'intellect> pratique considère la chose par rapport à une opération.

(159) Une chose doit être intelligée comme elle a l'être.

(160) Tout être est soit sensible soit intelligible.

(161) L'âme est, d'une certaine manière, toutes les choses.

(162) Les sciences sont divisées de la même manière que les choses à propos desquelles il y a sciences.

(163) Ce n'est pas la pierre qui est dans l'âme, mais son espèce.

(164) La main est l'organe des organes.

(165) L'intellect est l'espèce des espèces, c'est-à-dire des formes.

(166) L'appétit est double : intellectif, et c'est la volonté, et sensitif. Et ce dernier se divise en deux : l'irascible et le concupiscible.

(167) Il est nécessaire que quiconque intellige considère des phantasmes.

(168) La nature ne fait rien en vain, c'est pourquoi elle ne manque pas des choses nécessaires et n'abonde pas en choses superflues.

(169) L'intellection des principes est toujours correcte.

(170) La chose appétible meut toujours l'appétit sous la raison du bien, qu'il s'agisse d'un bien apparent ou d'un bien réel.

(171) Trois choses sont requises pour le mouvement d'un animal : un moteur, un mû et l'organe du mouvement.

(172) Le mouvement est double : celui qui meut un mobile appétible, et celui qui meut un mû qui est une puissance appétitive de l'homme. Ce qui est mû est un organe de l'animal, à savoir le cœur.

(173) Il est nécessaire que toute chose qui vit possède une âme végétative du début de la génération jusqu'à la fin.

(174) Il est nécessaire que tout animal possède des sens.

(175) Il est impossible que le corps d'un animal soit un élément simple.

(176) Le sens du goût et du toucher sont nécessaires à tout animal, les autres <sens> par contre relèvent du bien-être.

(177) Nous ne voyons pas par extramission, mais en recevant à l'intérieur.

(178) Le sens du toucher est le premier de tous les sens, car sans lui un animal [5] ne peut être.

(179) Un sensible excellent corrompt le sens.

(180) Un tangible excellent corrompt l'animal.

(181) L'animal possède une langue pour signifier quelque chose à un autre.


[1] Je corrige « utraque » en « urtumque ».

[2] Je corrige « nihil non » en « nihil ».

[3] Conformément à la suggestion de Hamesse, je corrige « non est in actu » en « est in actu ».

[4] Conformément à la suggestion de Hamesse, je corrige « entia » en « essentia ».

[5] Conformément à la suggestion de Hamesse, je corrige « anima » en « animal ».