Projet De anima
Auctoritates aristotelis
Les autorités d'Averroès sur le De anima
Traduit du latin par Fabienne Pironet
La traduction se fonde sur le texte latin tel qu'il est édité par Jacqueline Hamesse, Les Auctoritates aristotelis. Un florilège médiéval. Étude historique et édition critique, Philosophes Médiévaux, XVII, Louvain-Paris, 1974, pp. 176-195.
Autorités du Commentateur, De l’âme, Livre
I
(23) Les arts ne diffèrent l’un de l’autre que par la confirmation
de la démonstration ou par la noblesse du sujet, ou par chacune de ces
deux choses.
(24) Le sujet de la science qui porte sur l’âme est plus noble que
les sujets des autres sciences, et la démonstration de celle-ci est plus
ferme que celle des autres sciences; c’est pourquoi elle les précède.
(25) Parmi les choses générables et corruptibles, les animaux
sont les corps les plus nobles.
(26) L’acte et la puissance sont les différences les plus opposées,
et on les trouve en chacune des catégories.
(27) L’intellect agent cause l’universalité dans les choses.
(28) Selon la science d’Aristote, l’intellect est abstrait du corps,
et, cependant, il est impossible qu’il intellige quelque chose sans imagination.
(29) Les membres du lion ne diffèrent des membres du cerf qu’à
cause de la différence entre l’âme du lion et l’âme
du cerf.
Autorités du Commentateur, De l’âme, Livre II
(112) L’âme est une substance et non un accident.
(113) Une substance est plus digne que tout accident.
(114) Les formes substantielles <et les formes accidentelles> sont dites
être dans un sujet de manière équivoque [1],
car le sujet d’une forme substantielle est un étant en puissance
qui n’est en acte que par la forme, tandis que le sujet d’un accident
est quelque chose qui existe en acte, à savoir un composé de matière
et de forme. D’où nous considérons que tout ce qui arrive
à un étant en acte est un accident. Un composé de matière
et de forme n’est dit <un> que parce que la forme est une.
(115) Les formes [2] des choses accidentelles sont des accidents.
(116) Un individu n’existe que par sa forme.
(117) Les corps célestes n’ont, des puissances de l’âme,
que l’intellect et l’appétit.
(118) Ne pouvant faire en sorte qu’un individu un en nombre demeure toujours,
la sollicitude divine a eu pitié de lui en lui donnant une vertu par
laquelle il peut demeurer toujours identique en espèce.
(119) Tout être naturel désire la permanence éternelle.
(120) La nature agit toujours à cause de quelque chose comme à
cause d’une fin.
(121) La diversité des formes est cause de la diversité des matières.
(122) Tout ce qui reçoit doit être dépourvu de la nature
de ce qui est reçu.
(123) Ce n’est pas à cause des couleurs, mais à cause du
diaphane que la lumière est requise pour voir.
(124) À propos d’un exemple, ce qui est requis n’est pas
une vérification, mais une manifestation.
(125) C’est à cause de la lumière plus forte du soleil que
les étoiles ne sont pas vues de jour.
(126) L’homme qui est doté d’un bon sens du toucher est toujours
<intellectuellement> doué, et il en va de même des autres
sens.
(127) L’odeur est dans le milieu non pas formellement, mais intentionnellement.
(128) Les vautours et les tigres sont venus, à cause d’une odeur,
sur le lieu d’un combat qui [3] a eu lieu sur la terre
des Grecs <distante> de cinquante milles.
(130) Le lieu est semblable et équivalent à ce qui est dans un
lieu.
(131) Le sens dit toujours vrai non pas dans les universaux, mais dans les propres,
tandis que l’intellect dit toujours vrai dans les universaux, mais pas
dans les propres.
Autorités du Commentateur, De l’âme, Livre III
(182) L’intellect n’est pas un corps, et il n’est pas une
puissance dans un corps.
(183) Comme le dit Platon, le discours dans les débuts doit être
long.
(184) En découvrant l’intellect possible, Aristote a découvert
quelque chose de nouveau du genre de la matière.
(185) L’espèce humaine est éternelle.
(186) En tout intelligible abstrait, il est nécessaire que quelque chose
soit similaire à la matière et que quelque chose soit similaire
à la forme, à savoir la puissance et l’acte.
(187) Aucune forme n’est complètement libérée de
la matière, si ce n’est la forme première qui n’intellige
rien en dehors de soi-même.
(188) Toute forme séparée de la matière est intellective.
(189) Je crois que cet homme, Aristote, fut, en <ce qui concerne> la nature,
une règle et un exemple. En effet, il est parvenu à démontrer
l’ultime perfection dans la matière.
(190) Un habitus est ce par quoi quelqu’un qui le possède peut
agir quand il veut.
(191) L’opération de l’intellect possible est d’intelliger,
mais l’opération de l’intellect agent est d’abstraire,
d’intelliger, de faire.
(192) Intelliger, c’est recevoir des intelligibles, mais abstraire, c’est
rendre intelligés en acte des intelligibles en puissance en les dépouillant
de la matière et des conditions de la matière.
(193) Les universaux n’ont pas, comme le soutenait Platon, d’être
en dehors de l’âme.
(194) L’intellect possible est le dernier dans l’ordre des intelligences
séparées.
(195) Les premiers principes ne sont connus par rien d’autre que par la
lumière de l’intellect.
(196) Chaque fois qu’un homme a été joint à l’intellect
par la science de toutes choses, alors il est comme un dieu.
(200) On connaît les actions de l’âme avant <de connaître>
sa substance.
(201) L’intellect est commun à toutes les choses, la connaissance
non.
(202) On connaît le genre avant <de connaître> la différence.
(203) La perfection première d’un sens est une puissance dans un
corps.
(204) Une erreur minime au début est cause d’une erreur très
grande à la fin.
(205) Les puissances passives sont mobiles par ce à quoi elles sont attribuées.
(206) <Les puissances> actives meuvent ce à quoi elles sont attribuées.
(207) L’âme rationnelle est indigne d’examiner et de considérer
les intentions qui sont dans l’imaginative.
(208) De même que le sens a besoin d’examiner les sensibles, l’intellect
a besoin d’examiner les intelligibles.
(209) Ce sont les formes des choses extrinsèques qui meuvent l’intellect.
(210) L’esprit, c’est-à-dire l’intellect agent, retire
les formes des matières et les rend intelligées [4]
en acte après qu’elles aient été intelligées
[5] en puissance.
(211) L’intellect reçoit toutes les formes naturelles.
(212) Toute chose qui reçoit doit être dépouillée
de la nature de ce qui est reçu.
(213) En sa nature, l’intellect possible n’a rien des formes naturelles.
(214) Les formes naturelles ne sont pas séparables.
(215) Dans une espèces, les extrêmes diffèrent des intermédiaires.
(216) L’intellect possible est ce qui est en puissance toutes les intentions
des formes naturelles universelles et n’est en acte aucun des êtres
avant de <l’>intelliger.
(217) La diversité de la matière reçue produit la diversité
de la nature de ce qui reçoit.
(218) Toute chose générable et corruptible est particulière.
(219) L’intellect n’est ni ceci, c’est-à-dire un particulier,
ni un corps, ni une forme dans un corps.
(220) L’intellect qui crée et génère les intelligibles
est l’intellect agent.
(221) L’âme n’intellige pas sans imagination, comme le sens
ne sent pas sans la présence d’un sensible.
(222) Il est impossible de poser que les mêmes intentions sont tantôt
corruptibles, tantôt éternelles.
(223) Une nature corruptible ou passible ne peut être changée en
<nature> éternelle.
(224) Une couleur ne meut l’œil que par la présence de la
lumière.
(225) Pour les choses abstraites, il n’y a qu’un seul individu par
espèce.
(226) D’un instrument un ne peut provenir qu’une seule action.
(227) L’intellect agent, comme <l’intellect> possible, n’est
ni générable ni corruptible.
(228) Tout être sensible est divisé en matière et en forme.
(229) S’il n’y avait pas ce genre d’être [6],
nous ne pourrions intelliger la multitude dans les choses abstraites.
(230) Le savoir à propos de l’âme est nécessaire pour
savoir la philosophie première.
(231) Le rapport de l’intellect agent à l’intellect possible
est comme le rapport de la lumière au diaphane, car, de même que
la lumière est perfection du diaphane, l’intellect agent est perfection
de l’intellect possible.
(232) Ce nom « intellect » se dit de manière équivoque
de l’intellect agent et de <l’intellect> spéculatif.
(233) Toute puissance existant dans un corps est composée [7]
à partir de qualités premières.
(234) La puissance imaginative est située dans la partie antérieure
[8] du cerveau, tandis que la cogitative est du genre des puissances
existant dans un corps.
(235) À l’exception de la <partie> rationnelle, toutes les
parties de l’âme sont des formes dans des matières.
(236) Un lieu n’est rien de ces choses qui existent en lui.
(237) La puissance cogitative [9] est du genre des puissances
sensibles.
(238) Le premier intelligent n’intellige rien en dehors de soi-même.
(239) Le moteur et le mû doivent être de même espèce.
(240) Quand il a été en acte, l’intellect peut s’intelliger
lui-même par une intention qu’il extrait de lui.
(241) L’intellect abstrait la quiddité de ce qui possède
une quiddité, et il ne cesse pas d’abstraire tant qu’il n’est
pas parvenu à la quiddité simple.
(242) Le droit est dans le continu comme la camosité est dans le nez.
(243) S’il n’y avait pas de matière, il n’y aurait
pas de passion.
(244) Intelliger est une passion et non une action.
(245) Si un intelligible est intelligent en soi, ce qui intellige et ce qui
est intelligé seront la même chose dans tous les modes.
(246) Les choses qui agissent et celles qui pâtissent ont un sujet en
commun [10].
(247) La préparation [11] est une certaine privation
et elle n’a aucune <autre> nature propre que la nature de sujet.
(248) L’un des opposés est intelligé par l’autre.
(249) L’âme est un des êtres naturels [12].
(250) La considération à propos de l’âme est une considération
naturelle [i.e. qui relève de la physique].
(251) Rien n’agit si ce n’est pas sa forme.
(252) L’acte de l’intellect agent est sa susbtance.
(253) Il est impossible que l’espèce humaine [13]
fasse défaut.
(254) Les formes immatérielles sont intellectives de soi.
(255) Là où il n’y a pas vraie génération,
il n’y a pas vrai agent.
(256) L’homme diffère de tous les autres animaux par la puissance
cogitative.
(257) L’intellect agent est en acte seulement et n’est pas en puissance.
(258) La perfection humaine consiste à intelliger les choses abstraites.
(259) Une chose éternelle n’a pas besoin pour son action d’une
chose corruptible.
(260) Toute chose produite a une quiddité.
(261) Il est impossible qu’une chose générable et corruptible
soit matière d’une chose éternelle.
(262) L’intellect possible [14] intellige les formes
matérielles et les formes abstraites.
(263) Les choses dont les différences [15] sont identiques
sont identiques.
(264) Ce qui existe dans l’âme est forme seulement et non matière.
(265) Les imaginations sont du genre des choses sensibles.
(266) La raison n’existe pas dans tous les animaux.
(267) Si le moteur est un, le mobile sera un.
(268) L’intellect ne meut pas sans volonté.
[1]
Conformément au texte d’Averroès, je corrige « equivocae
» en « equivoce ».
[2] Je corrige « forma » en « formae ».
[3] Conformément au texte d’Averroès, je
corrige « qui » en « quod ».
[4] Je corrige « intellectiva » en « intellecta
».
[5] Conformément au texte d’Averroès, je
corrige « intellectiva » en « intellecta ».
[6] Je suis ici la leçon du manuscrit D qui omet «
intellectus ».
[7] Je corrige « composito » en « composita
».
[8] Conformément au texte d’Averroès, je
corrige « interiore » en « anteriori ».
[9] Conformément au texte d’Averroès, je
corrige « cogitativae » en « cogitativa ».
[10] Littéralement : « communiquent en un sujet
».
[11] Conformément au texte d’Averroès,
je corrige « propria passio » en « privatio ».
[12] Je supprime le terme « rerum » qui termine
la phrase.
[13] Conformément au texte d’Averroès,
je corrige « humanas » en « humana ».
[14] Je corrige « passibilis » en « possibilis
».
[15] Conformément au texte d’Averroès,
je corrige « differentia » en « differentiae ».