Publications des associés du CERPHI
L'EXPÉRIENCE DE LA BEAUTÉ
Fabienne Brugère
Vrin, Paris, 2006
Présentation
Pourquoi la philosophie a-t-elle pris sur elle, à un moment donné,
de libérer le beau d’idéaux et de règles qui le
maintenaient dans une recherche métaphysique?
Au XVIIIe siècle, dans le registre de l’art, ont lieu de nouvelles expérimentations anthropologiques qui dissolvent les présupposés platoniciens de la beauté absolue. Les phénomènes esthétiques basculent dans une valorisation sans précédent du relatif. D’une part, la beauté est affaire d’expérience perceptive. D’autre part, son contenu dépend de l’époque, des institutions politiques, des coutumes et des modes. Le dispositif théorique qui contribue à ce renversement de perspective peut être nommé en philosophie l’empirisme.
À l’intérieur de ce nouveau regard sur la beauté, les positions de philosophes comme Hutcheson, Hume, Smith ou Reid s’avèrent profondément novatrices. Ces pensées, à travers le souci d’une enquête sur la nature humaine, dressent un portrait de l’homme esthétique dans lequel percepts et affects déterminent une appréciation subjective de l’art. La beauté est une modalité essentielle de la tonalité affective de l’homme et indique un nouveau rapport à soi.
Elle est aussi un instrument de la distinction sociale car elle
participe d’un questionnement sur le progrès de la civilisation,
le degré de raffinement, et le développement d’une société
marchande qui l’intègre dans le tableau de la prospérité,
du luxe et de la puissance.
La référence à la beauté peut alors s’inscrire dans la nouvelle donne individualiste puisqu’elle apparaît comme une stratégie de vie au service des sentiments et de la consolidation d’un ordre social nouveau, déthéologisé.