Publications des associés du CERPHI


Vies ordinaires vies précaires

Guillaume le Blanc

(Editions du Seuil)

Banalisée, inscrite désormais dans le décor de notre quotidien, la précarité bouleverse notre rapport aux normes sociales. Sait-on simplement aujourd’hui ce qui distingue une vie ordinaire d’une vie précaire ? A-t-on seulement noté que les chômeurs, les surnuméraires, les inutiles, cette armée de sans-voix, s’inventent une nouvelle langue à laquelle nous restons sourds ? Si la philosophie peut espérer contribuer à la critique sociale, il lui revient de traduire ces expériences d’inexistence et de redonner droit de cité à ces voix discordantes, participant ainsi à la construction d’une « société décente ». Non point un programme, mais une exigence : parce que les voix des précaires sont l’ultime voix de la démocratie, leur faire une place dans le bruit ordinaire de nos vies.

« Ce livre est une tentative pour redonner voix et visage au précaire. Avoir une voix est sûrement le meilleur moyen d’avoir un visage ; mais avoir une voix, et par suite un visage, ne va pas de soi. La garantie de la voix est elle-même sans garantie. L’entrée dans la voix est la tâche de la critique sociale aujourd’hui. Cette dernière ne consiste pas à parler à la place des précaires, elle revient sur la voix précarisée pour en garantir le mode de diffusion. Si la vie ordinaire est puissance créatrice, ruse pour détourner le sens des normes et faire advenir de nouvelles normes, réciproquement la précarité annule cette puissance créatrice, arrache la vie à elle-même et, par suite, prive de voix. Faire effort pour revenir sur la voix elle-même précarisée, c’est ainsi contribuer à la créativité des vies ordinaires disqualifiées dans la précarité. Cette créativité est l’événement dont il importe d’être le contemporain. J’oppose à la précarité la voix des précaires » (extrait).