Publications des associés du CERPHI
Molière, dramaturge libertin
Antony McKenna, avec la collaboration de Fabienne Vial-Bonacci
Paris, Honoré Champion, 2005
collection « Essais », 8 €
AVANT-PROPOS
Molière libertin : vieille rengaine ; libertin comme Dom Juan, libertin
avec hauteur et noblesse d'esprit ou bien libertin bourgeois, représentant
précoce et héroïque d'un mouvement social qui avance vers
la conquête du pouvoir hostile à la tyrannie, aux privilèges,
aux contraintes et aux afféteries de la Cour. Molière, esprit
libre, en somme, dont Dom Juan serait l'incarnation sur scène, à
la fois dans le mépris qu'il affiche à l'égard des normes
et des barrières sociales et dans le défi qu'il lance à
Dieu.
Ce petit ouvrage n'est pas une nouvelle variation sur ces lieux communs. Son
premier souci sera de nous débarrasser de deux clichés qui dominent
la critique moliéresque de tout temps et qui nous empêchent, à
mon sens, de saisir la véritable audace du dramaturge. Premier cliché
fermement ancré dans notre héritage culturel : que Dom Juan est
l'incarnation du libertinage tel que Molière le concevait de son libertinage,
ce qui est confirmé aux yeux de la critique par la suppression de la
pièce après quelques représentations. Deuxième cliché
: que Molière est possédé d'une haine farouche des médecins,
ce qui, aux yeux de bien des critiques, est comme confirmé par sa mort
quasiment sur scène: il serait, en quelque sorte, mort de sa haine de
la médecine et des médecins et de sa volonté de dénoncer
sur scène leur imposture.
Néanmoins, tout en rejetant ces deux clichés, je soutiendrai la
thèse que Molière est libertin et je donnerai un sens
précis et limité à ce terme : j'entendrai par là
que Molière refuse la foi chrétienne, qu'il dénonce l'imposture
dévote et qu'il propose une philosophie cohérente, un système
de valeurs non seulement étranger au christianisme mais radicalement
opposé à la doctrine de la Chute et de la rédemption. J'irai
même jusqu'à soutenir que cette philosophie anti-chrétienne,
fondée sur un système cohérent de principes et de valeurs,
constitue le véritable libertinage aux yeux de Molière. Tout ce
qu'on a eu et qu'on a encore aujourd'hui tendance à sous-entendre par
le terme de libertinage : séduction, infidélité, licence
des moeurs, tout cela n'est qu'enfantillage narcissique à ses yeux, une
réduction frivole et appauvrissante de la véritable portée
anti-chrétienne de la philosophie libertine.
4e de couverture
Molière pratique la dis/simulation pour masquer une pensée anti-chrétienne
et épicurienne conforme à la leçon de Lucrèce. Il
s'attaque dans le Tartuffe et Le Misanthrope aux deux erreurs
extrêmes du camp dévot (celles des jésuites et des jansénistes).
Loin d'être l'expression de son propre libertinage « flamboyant
», Dom Juan met en scène une nouvelle imposture, car il
est un « faux libertin », comme Tartuffe est un « faux dévot
» et Alceste un « faux Solitaire ». Dans L'Amour médecin,
il exploite le mot-clef fourni par Sganarelle : « impie en médecine
». En effet, sous le masque de l'imposture médicale, il dénonce
l'imposture des théologiens, et cette allégorie parcourt toutes
les pièces ultérieures. L'imposture divine, qui mine la certitude
de l'évidence cartésienne et celle de la doctrine chrétienne
qu'elle prétendait démontrer, est mise en scène et ridiculisée
dans Amphitryon. Enfin, Argan, le malade imaginaire, convaincu que
son sang est « corrompu », que sa nature est « tombée
» en corruption, incarne le chrétien superstitieux, dupé
par l'imposture religieuse, alors que « les principes de notre vie sont
en nous-mêmes ». Le théâtre de Molière a été
censuré pour de mauvaises raisons, mais une philosophie libertine y figure
bel et bien, fortement appuyée sur la lecture de Pierre Charron, de La
Mothe Le Vayer et de la synthèse épicurienne de Gassendi.
Table des matières
Avant-Propos
Introduction
Chapitre 1 : Les premières comédies
Chapitre 2 : L'Ecole des femmes et la querelle : de la fourberie à l'imposture
Chapitre 3 : Tartuffe, le faux dévot
Chapître 4 : Dom Juan, le faux libertin
Chapitre 5 : Alceste, le faux Solitaire
Chapitre 6 : Médecine et théologie
Chapitre 7 : Molière et la philosophie : Amphitryon
Chapitre 8 : L'honnête homme dans le théâtre de Molière
Chapitre 8 Appendice : La Mothe Le Vayer
Conclusion
Bibliographie des travaux cités
Appendice bibliographique : Epicure et l'épicurisme à la Renaissance
et à l'âge classique
i) Avant-Propos
ii) Lucrèce, De rerum Natura :
iii) Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes
illustres ;
iv) Cicéron, De natura deorum ;
v) Cicéron, De finibus ;
vi) Bibliographie de l'épicurisme à la Renaissance et à
l'âge classique ;
v) Bibliographie sélective de travaux sur Epicure et l'épicurisme
à la Renaissance et à l'âge classique.
Table des matières