Précis en quatre thèses
du mot de lénigme métaphysique et morale
Avertissement
Le Précis qui va suivre a été entrepris pour présenter labrégé de ma spéculation à M. X., et pour être opposé à un précis très incorrect quil avait fait delle, daprès une lecture superficielle, et quil terminait en niant lexistence de luniversel.
La grande objection contre ma spéculation, au premier coup dil, est que je réalise des êtres de ma création : ce nest pas quelques raisonnement, cest mon ouvrage tout entier qui anéantit cette objection, en prouvant lexistence de luniversel par tout ce qui est dexpérience universelle, par la vérité morale qui en découle, par toutes les idées vaguement reçues de lExistence, par les idées qui seules pouvaient être attachées aux termes collectifs généraux et universels, tant positifs que négatifs, et par la contradiction où la négation de cette Existence fait tomber à chaque pas.
Rien de plus facile, comme aussi rien de plus vague et de moins réfléchi que de faire cette objection : mais que ceux qui la font sachent ici que cest à mon ouvrage tout entier quils ont affaire, et quils ont à le combattre dans toutes ses parties liées les unes aux autres, pour prouver quelle est fondée.
Mais, cependant, peut-on nier sensément lexistence de lunivers comme étant la somme des êtres physiques ? Cest cependant ce que lon nie en niant luniversel. Cette somme existe ; cest la réalité même, sous son point de vue positif, comme je le ferai voir, et nous la concevons dans son tout, comme nous la voyons dans ses parties ; son existence est faite pour être considérée par nous comme lexistence des êtres particuliers qui la composent ; et doù vient quelle est faite pour lêtre ? Cest quelle est ce quil implique contradiction quelle ne soit pas : que Le Tout et tout nexiste point. La vérité de son existence est tellement vérité, et / si essentielle à connaître ; elle est tellement toutes les idées que nous avons eues de tout temps de quelque chose au-dessus du sensible, de quelque chose dintellectuel, quil est honteux pour les philosophes quelle soit en question : mais elle ny est pas même pour eux, ils tranchent sur elle, ils la traitent de chimère, dêtre de raison ; et ils font précisément à son égard le rôle de Renard de la fable. Ce Renard nétait pas de bonne foi, et je veux croire quils le sont : mais que leur ignorance est révoltante, au point dexcès où elle est repoussante !
Ne les imitez pas, ô vous sage lecteur qui cherchez à vous éclairer ; et dites-vous ici ce qui est de la vérité la plus simple : La Somme des Etres Existe. Il ne vous restera plus quà savoir ce que cest que cette somme, et vous serez au terme où il faut être pour me lire : vous ne maurez point entendu, si vous ,êtes pas convaincu.
Les hommes, comme vous allez être dans le cas de le conclure, nont personnifié tant dêtres physiques et moraux que par une suite de labsurdité qui leur a fait personnifier lêtre métaphysique, en leur faisant faire un Dieu, un être à leur ressemblance, de luniversalité des choses, de la somme des êtres. Lobjet de leur sens intime ( objet qui les le sens même ), une fois formé à leur image, il ne leur a plus rien coûté dy former des objets de leurs sens.
Thèse I
Le Tout universel est un être qui existe. Cest le fond dont les êtres sensibles sont les nuances.
(les réflexions métaphysiques préliminaires qui précèdent étant à lappui de ce que je vais établir, et tout ce que je vais établir étant mutuellement à leur appui, il est essentiel de ne les pas perdre de vue.)
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Vous ne voulez pas, ô philosophes du jour qui me combattez, quune armée, dont lensemble laisse à coup sûr lidée dune forme, soit un tout qui existe comme tout, comme un être ; et si vous ne le voulez pas, cest sans doute parce que les parties qui la composent ne vous paraissent pas assez liées les unes aux autres, ni former un tout, ni une unité assez compacte, et ne sont pas assez rentrantes les unes dans les autres. Mais votre propre tout, à vous, que vous croyez absurdement vous être propre en toute rigueur, et dont vous vous faites un vous à vous tout seul : mais votre individu, pour me servir de ce terme impropre, et le globe de la terre dont il est partie très partielle, nétant pas dans le même cas quune armée, vous voulez bien quils soient deux touts physiques, et vous les qualifiez même dêtres très réels, contre le sentiment de tant de philosophes quon ne peut démentir à cet égard. Partez donc de ces touts particuliers, comme le globe de la terre, des parties qui le composent, telles que votre personne, de même il résulte un tout universel, une unité parfaite de toutes les parties possibles, lesquels sont toujours plus ou moins ce quest leur tout universel, sous quelque aspect métaphysique, comme vous le verrez. Mais quelle vérité plus vérité que celle de lexistence de lêtre nommé lunivers ? /
202 Une armée, dites-vous, nest que les soldats qui la composent. Cela est vrai, car un tout, et Le Tout universel même, tout métaphysique quil est, ne peut jamais être que toutes ses parties. Mais pour être toutes ses parties, un tout nen est pas moins un tout, témoin votre personne et le globe de la terre : ainsi, une armée, pour être les soldats qui la composent, nen est pas moins un tout. Mais, encore une fois, laissons-là larmée, comme un tout trop peu lié dans ses parties, et tenons-nous en à des touts plus sensibles.
Cest ce que vous auriez dû faire, au lieu de vous accrocher, comme vous lavez fait, dans lidée de me mieux combattre, à des touts décousus, tels quune armée, ou à des généralités de corps épars, telles que celles des hommes et des arbres : ces généralités ne sont que des parties de la généralité nommée le globe de la terre, dont votre personne est partie, et qui, avec tous les autres globes possibles et leurs tourbillons, donne une généralité non plus particulière, ou physique, mais universelle, mais métaphysique.
Vous direz que les globes sont des corps épars, réellement séparés les uns des autres, mais cest ce que vous dit votre vue, qui vous trompe, et qui par sa nature bornée, par sa qualité dêtre particulier, doit vous tromper. Les globes, qui vous paraissent séparés les uns des autres, sont réellement liés les uns aux autres, et donnent, avec leurs tourbillons qui les lient ensemble, la généralité universelle, lêtre métaphysique nommé lunivers. Il ny a de solution de continuité dans la nature quaux yeux du corps, rien ny est une chose à part, ou indépendante ; rien ny est individu que tel ou tel de nos sens, tel ou tel toujours démenti par eux tous, quand ils parlent ensemble, quand ils nont que la voix commune à tous les êtres.
Larbre en général nexiste point, à vous entendre, cest comme si vous disiez que la généralité des arbres nexiste point. Car quest-ce que larbre en général, si ce nest la généralité des arbres ? Or, si la généralité des arbres existe, pourquoi la généralité des êtres, ou, ce qui va au même, lêtre en général nexisterait-il pas ? Je ne sais quil ne résulte point un arbre de la généralité des arbres, que le particulier ne peut pas résulter de sa généralité : aussi / ne prétends-je pas quil résulte un être particulier de la généralité universelle, ce qui répugnerait, mais lêtre en général, ou universel, qui est cette généralité même.
Cet être nexiste que dans lesprit, selon vous, qui ne voulez absolument point dêtre en général : mais quest-ce que lesprit, cet être que vous me jetez si vaguement à la tête ? Quest-ce que lesprit, ou lâme, en tant que concevant lêtre universel, si ce nest lEntendement, ce mot que je vous prie de prendre dans le sens que je vais lui donner ? Et quest-ce que lEntendement, cette faculté si distincte des idées acquises, de lesprit philosophiquement pris, de ce que nous appelons nos pensées, si ce nest cet être universel même, ce fond métaphysique qui existe le même dans tout et partout, sous les nuances du physique, et dont nous avons fait un Dieu principe et une âme immortelle à chacun de nous ; au lieu de le voir lui-même comme étant le principe, et ce que les anciens philosophes appelaient lâme du monde, sans la connaître ? Perdez de vue Scot, qui certainement na jamais connu cet universel, et qui a ignoré, avec tous les autre humains, quil était dune autre nature que ses parties distributivement prises ; quil était le premier principe, le souverain bien et la seule perfection dans le seul sens possible, qui est le sens métaphysique, et quil existait sous un point de vue contraire au / point de vue positif, sous lequel je lenvisage ici, comme je le ferai voir dans la suite.
Il répugne que toutes choses ne soient pas toutes et que toutes ne sont pas unes : mais tous les hommes sont tous, direz-vous, et tous les hommes ne sont pas un homme ? Jen conviens : aussi toutes choses, comme je vous lai dit sous dautres termes, ne donnent-elles point une chose particulière, mais une chose universelle.
La généralité des hommes est une chose, mais ce nest pas un homme : cest une chose générale particulière dans la généralité universelle, la seule qui soit une en tout rigueur ; et cette chose, en qualité particulière, est physique, comme les hommes qui la composent, puisquon peut se la figurer plus ou moins. Mettre cette généralité de pair, ou toute autre généralité particulière, avec la généralité universelle, cest confondre les genres.
Thèse II
Le Tout universel, ou lunivers, est dune autre nature que chacune de ses parties, et conséquemment, on ne peut que le concevoir, et non pas le voir ou se le figurer.
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Un tout particulier, comme un homme ou la généralité des hommes, est de la même nature que ses parties, puisquil est partie lui-même dun autre tout particulier , cest-à-dire du globe de la terre, qui est partie du tourbillon solaire ; mais il nen est pas de même du Tout universel, il nest point de même nature que telle ou telle de ses parties, puisquétant lensemble, ou lunité de toutes les parties possibles, il répugne quil soit partie lui-même, quil ait une forme, quil soit de telle ou telle couleur, de telle ou telle dimension, quon puisse se le figurer.
Une pensée, comme acte qui se passe dans le milieu de la tête et dans lintérieur, où les yeux ne voient point, nest vue et ne peut être vue que par ses signes extérieurs : mais on se la figure à peu près, comme on se le figure laction des touches du clavecin sur les cordes, et il ny a que la somme des choses, quon ne se figure point, qui soit métaphysique, ou surnaturelle. /
Le Tout universel est un être purement relatif, ainsi que ses parties qui le font relatif, comme il les fait relatives : il nest que rapport, que comparaison, ainsi que ses parties, mais il nen est pas moins dune autre nature que telle ou telle de ses parties, et la preuve de cela cest quil tombe sous lEntendement, sous les sens de concert et daccord, qui sont lui, tandis que telle ou telle / de ses parties tombe sous chacun de nos sens, parties eux mêmes, et quelles sont chacun de nos sens dans la proportion du rapport quelles ont avec lui, de leur action sur lui, de leur incorporation dans lui.
Lagrégat du physique : jentends Le Tout universel, ne peut tomber que sous lEntendement, que sous les sens de concert et daccord, puisquil est de toute vérité quil na ni ne peut avoir aucun point de comparaison hors de lui, mais dans lui uniquement ; tandis que chaque être physique, ou particulier, qui le compose a toujours hors de lui, comme dans lui, des points de rapport, de comparaison qui le font tomber sous les sens, cest-à-dire qui lincorporent plus ou moins avec nous même. Car quest-ce que les sens physiquement pris, ou distributivement, sinon notre corps, ou notre existence physique, toujours composés par dautres corps et les composant réciproquement ? De là, pour le dire ici, le mystère expliqué du rapport entre les sensations et les objets qui les occasionnent. Mais voyez mes développements, vous y verrez ce que tout nous dit : que les corps distributivement pris nont telle ou telle existence que celle quils tiennent de chacun de nos sens en particulier, et quil est absurde, et contre lexpérience universelle, de dire deux non seulement quils existent en eux-mêmes, mais que leur existence est absolue, ou réelle ; car elle ne lest que plus ou moins relativement, leur totalité seule étant sans réserve ce quils sont avec réserve, avec restriction, avec restriction, étant labsolu, le réel, le premier et véritable objet de rapport. Leur totalité tient son existence de nos sens de concert et daccord, comme ils / tiennent la leur de chacun de nos sens, et cela parce quelle nous constitue dans le fond, comme ils nous constituent dans la forme. De là, son existence la même pour chacun de nous, pour tout ce qui existe de particulier, tandis que la leur est plus ou moins différente pour chacun de nous, pour tout ce qui existe de particulier, tandis que la leur est plus ou moins différente pour chacun de nous, pour tout ce qui existe de particulier. Mais que dit cette vérité, sinon que nous ne différons point au métaphysique, que nous navons tous quune même raison à cet égard, et que nous différons toujours plus ou moins au physique ? Cette vérité est tellement vérité quelle se trouve partout sous cent autres façons de lénoncer : la religion même nous dit que nous avons tous le même sens intime par rapport à Dieu ; et on ne peut pas sensément disconvenir que nous de différions tous dailleurs par la façon de voir et denvisager les choses sensibles.
Le métaphysique est ce qui est général de toute généralité, ce qui est dune autre nature, non pas que ses parties, qui sont lui, mais que les parties de ses parties, cest-à-dire que telle et telle partie : il est les êtres dans ce quils sont très également ; cest lêtre relatif appelé lunivers, le monde, la nature, la matière, dans lesquels tout étant purement relation, rien nest pas plus en soi, ou par soi, que lui.
Le physique, distributivement pris, car pris collectivement cest le métaphysique, le physique est ce qui est particulier, ce qui est telle ou telle chose, est un homme, un arbre, un globe, est la généralité des hommes, des arbres, &c., mais non pas des globes ; cette généralité, comme je lai déjà dit, étant lunivers même : univers qui est le centre métaphysique, nécessairement parsemé de centres physiques dans lui, tous plus ou moins différents les uns des autres et plus ou moins sujets à distraction, leur centre étant seul légalité et la stabilité.
Ces deux genres, le métaphysique et le physique, ne sont point lun sans lautre et sont inséparables, comme on verra que lêtre qui les nie, et qui les affirme en les niant, est inséparable deux. Ainsi, tout existe métaphysiquement et physiquement tout à la fois. Ce que nous disons notre moi est ces deux genres, dont / lun, qui est le métaphysique, est commun à tous les êtres, et dont lautre, qui est le physique, nous est personnel, est nous comme hommes. Cest du moi métaphysique, si on peut lappeler ainsi, et aussi de notre moi physique, des ressorts de notre machine que nous avons fait une âme, et cest du moi métaphysique et de notre moi moral que nous avons fait un Dieu métaphysique et moral. Je distingue notre moi moral de notre moi physique, mais ils rentrent entièrement lun dans lautre : aussi avons-nous fait un Dieu métaphysique, physique et moral, tel que nous sommes.
Par-delà ces deux moi, le métaphysique, et le physique qui comprend le moral, il y a le moi en soi, dont je parlerai, et qui étant Tout et non plus Le Tout, comme on le verra, donne pour dernière vérité que tout est Tout : et alors tout est dit. Ce moi, dont nous avons fait également Dieu et lêtre qui nie le métaphysique et le physique en les affirmant, on a par lui une troisième façon dexister, inséparable des deux autres et qui les renferme dans elle.
Si nos langues sont un composé de termes métaphysiques, physiques et moraux, cest que nous existons métaphysiquement, physiquement, et moralement : métaphysiquement, comme liés à tout, comme ne formant quun même être avec le reste des êtres ; physiquement, comme paraissant séparés de tout, comme hommes ; et moralement, comme hommes en société, sous létat de lois, état qui en nous donnant des vertus et des vices, par le juste et linjuste, le bien et le mal moraux qui dérivent de lui nécessairement, nous a fait une moralité, ou, ce qui va au même, une façon dêtre sociale, dépourvue de toute raison, et qui rend le mal moral infiniment plus onéreux que le mal physique. /
On na nié lexistence du Tout universel comme être que parce quon ne pouvait pas de le figurer, que parce quil ne présentait rien de sensible à lentendement. Cest pas la même raison que jaffirme son existence. On a dit que cétait un être abstrait, un être métaphysique, et je le dis aussi : mais on ne la dit que dans la croyance quon lui ôtait par là la réalité, et cest en quoi lon sest trompé, faute davoir jamais su lidée quil fallait attacher au mot métaphysique : mais si on lavait u, si on avait bien entendu le cri de la vérité qui lui a donné lexistence, on aurait tout su.
Thèse III
Le Tout universel, seul être, seul principe, seule vérité métaphysique, donne la vérité morale, vérité qui est toujours à lappui de la vérité métaphysique, comme celle-ci à son appui.
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Il sensuit de ce que Le Tout universel est la vérité, ou le principe métaphysique, de ce quil est le premier et le véritable objet de rapport, que tout ce qui existe de sensible découle directement de lui, et, conséquemment, que la vérité morale, qui est le rapport social que les hommes ou toute autre espèce en société doivent avoir entre eux, en découle directement. Elle découle aussi, mais indirectement, de la destruction quentraîne après lui le développement du Tout universel, puisque cette destruction est celle de nos murs et de leur principe moral calqué sur nous, sous le nom de Dieu.
Le principe moral que donne le principe métaphysique, et qui aurait nécessairement pour conséquence de ne point faire à autrui ce que nous ne voudrions pas quil nous fît, de nen point faire notre sujet, notre valet, notre esclave ; ce principe, dis-je, est légalité morale, qui renferme dans elle la communauté des biens quelconques. Or, ce principe étant précisément le contraire de celui sur lequel portent nos murs, de linégalité morale, et celui-ci étant la source, comme il lest incontestablement, et de létat de / lois qui nexiste quà son appui, et de notre perversité, et de tout le mal moral sans exception, il sensuit que le principe métaphysique nous donne, dans légalité morale, le vrai principe moral.
Il faut, si nous voulons sortir enfin du détestable état social dans lequel nous vivons, et être conséquents de la vérité première, que nous ne soyons quun au moral, comme nous le sommes au métaphysique, et que nous ne fassions chacun de notre tendance qui ne fasse plus dobstacle à celle de nos semblables, qui ne soit plus traversée par la leur, quune tendance commune ; or cela ne peut avoir lieu que par légalité morale, il faut que nous en venions à cette égalité qui a son principe dans cette égalité métaphysique, dans lordre primitif, et par conséquent dans la saine raison sociale.
Cest dans cette saine raison, que mon ouvrage fait voir particulièrement et sensiblement, que légalité morale a son propre principe ; car on a bien plus à dire à cet égard au moral quau métaphysique ; celui-ci nous étant beaucoup moins utile à connaître pour ce quil établit que pour ce quil détruit. Notre raison seconde pourrait nous suffire, sans notre raison première, si celle-ci navait pas à détruire ce qui fait obstacle à lautre, et ce que lautre ne peut du tout point détruire par elle-même. En vain, notre raison seconde nous crie-t-elle de vivre tous égaux et danéantir le frein des lois qui sy oppose ; elle trouve toujours, indépendamment de la possession qua létat de lois pour lui, un Dieu quon lui objecte, un Dieu qui a mis lhomme sous la loi, et contre lequel toute sa force est obligée de plier. Mais ce ne serait plus cela, une fois étayée de notre raison première : ce terrible obstacle serait levé pour elle, et sa force ne serait plus énervée.
Voyez mes développements, où je donne létat dégalité morale ; voyez-y lhomme sauvage venant, à laide de sa conformation avantageuse, à laide de ses dix doigts, et nécessairement par linégalité physique, à linégalité morale / ; et lhomme social pouvant passer de cette inégalité, qui fait tout son malheur, à légalité morale, et ne le pouvant que par les inconvénients bien démontrés de cette inégalité, que par le despotisme de lévidence métaphysique et morale, qui seule peut vaincre son ignorance funeste.
Thèse IV
Tout, qui ne dit point de parties, existe et est inséparable du Tout universel, qui dit des parties, et dont il est laffirmation et la négation tout à la fois, Tout et Le Tout sont les deux mots de lénigme de lExistence, mots que le cri de la vérité a distingués en les mettant dans notre langage. Tout et Rien sont la même chose.
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Le Tout universel considéré comme ne faisant quun seul et même être avec ses parties, quon ne sépare plus de lui alors pour les considérer relativement à lui, ou, ce qui est égal, pour le considérer relativement à elles, le Tout universel, alors, nest plus Le Tout, mais Tout, nest plus la masse partielle des êtres, mais la masse sans parties ; nest plus lêtre principe, ou cause, mais lêtre qui nest ni principe ni cause ; nest plus lêtre par rapport, lêtre sans rapport, lêtre négatif, le non qui nie et affirme tout à la fois le oui ; nest plus lêtre qui est relativement à ce qui paraît, mais lêtre qui est ; nest plus le fini, ou résultat des êtres fini, mais linfini ; nest plus le parfait, mais limparfait, ce mot pris négativement ; nest plus le temps, ou le résultat des temps, mais léternité ; nest plus lêtre un, qui existe par les êtres en nombre, lêtre appelé la matière, qui existe par les corps, mais lêtre unique, qui nie tout autre être que lui-même, lêtre immatériel, lêtre individuel et incréé; nest plus lêtre méta / physique, qui existe par le physique, lêtre universel, qui existe par le particulier, mais lêtre qui existe par lui même, et dont on ne peut que nier ce quon affirme de lautre, daprès les points de vue différents sous lesquels on envisage ses parties ; nest plus le sensible, ou le résultat des êtres sensibles, mais le Rien, le néant même, qui est uniquement et qui ne peut être que la négation du sensible ; qui est lexistence négative, dont on navait pas plus didée que la positive, sans en excuser Spinoza, qui modifie absurdement la substance infinie, dans lignorance où il était de la substance qui est le fini, ou le parfait.
Le Tout universel, considéré comme je viens de le dire, nest plus la cause et leffet, le commencement et la fin, lalpha et loméga, le bien et le mal, lordre et le désordre, le plein et le vide, la réalité et lapparence, le mouvement et le repos, le plus et / le moins, ni tous les opposés, ou extrêmes métaphysiques quelconques, qui disent Le Tout et rien de plus ; et que nous qualifions nous-mêmes dêtres métaphysiques, mais ce qui nie ces opposés en les affirmant : car linfini, affirme le fini quil nie, ce qui fait de lui comme contraire négatif, la contradiction même.
Le Tout universel, toujours considéré comme je viens de le dire, nest plus le premier germe, le germe commun à tous les êtres, ou, pour me servir de termes consacrés, auxquels il est impossible dattacher dautres idées justes, nest plus Dieu, créateur, mais Dieu non-créateur, ou avant la création. Voyez mes développements dans mon ouvrage et dans ce qui suit. /
Ces deux êtres. Le Tout et Tout, que lexistence physique seule différencie, et dont notre état de lois et le cri de la vérité mal entendu nous ont fait faire un Dieu à attributs négatifs et positifs, que nous prenons absurdement au moral, au lieu de les prendre uniquement les uns au métaphysique et les autres comme négation du métaphysique et du physique : ces deux êtres, dis-je, qui se prouvent lun par lautre, et dont celui qui est relatif est prouvé également par ses parties, expliquent tout ce qui a été jusquà présent énigme pour les hommes. Le composé de ces deux êtres et de notre moralité, composé que nous appelons Dieu, nest au contraire pour eux quune masse dabsurdités, et conséquemment, de difficultés de toute espèce : il fallait sortir du sein de la matière pour trouver lêtre un et lêtre unique, mais il ne fallait pas sortir hors delle.
Une absurdité bien grossière, qui résulte du Dieu que nous avons fait et que nous nous sommes fait, cest de vouloir, contre la force même des termes, que les attributs négatifs que nous lui donnons soient positifs, et que ces deux mots, par exemple, infiniment parfait (le mot infiniment pris dans la rigueur du terme) aillent convenablement ensemble, tandis que que linfini est la négation du parfait, celui-ci étant Le Tout, et lautre étant Tout. Cette absurdité a sa cause dans celle qui nous a fait donner la moralité, cest-à-dire la sagesse, la bonté, la justice, la miséricorde, la vengeance, &c., à lexistence positive et négative, dont nous avons fait un Dieu : car le moyen alors de voir autre chose dans cette existen,ce que du positif ? Il ne nous a manqué que dappeler Dieu lêtre méta-moral, car, selon nous, il est supérieurement au moral, comme au physique, il est la perfection moralement et métaphysiquement ; mais disons, mieux, quil nest rien décidément pour nous, qui ne lavons jamais vu que très vaguement, aussi na-t-il jamais cessé dêtre en question pour nous. La croyance où nous sommes que nous croyons dans lui est toujours, sans contredit, beaucoup plus leffet de léducation et de la crainte que du désir quil existe. Quant à être leffet de la persuasion, elle ne lest jamais, ni ne peut jamais lêtre. /
Moïse nous dit que Dieu a crée dans le commencement le ciel et la terre, mais il ne nous dit point ce que cest que Dieu ; il nous a laissés à le dire.
Cest du néant, suivant la façon dont on interprète ce législateur, que les êtres sont sortis : ne dirait-on pas , sil est bien interprété, quil aurait entrevu ce que jétablis, que Dieu non-créateur, que lêtre par soi est le Rien, le néant même ; et quen disant que les êtres sensibles sortent du néant, il ne voulait rien dire autre chose sinon quils sortent de lêtre, ou, si lon veut, que cet être qui est Tout, ou lêtre unique, renferme dans lui Le Tout et les parties, lêtre un et les êtres en nombre ? Quel peut-être le néant, ou le chaos, dont les êtres sortent, si ce nest Tout, lêtre unique, ou Dieu, dont on convient quils sortent ?
On a dit quavant le temps Tout nétait rien : que peut-on dire par là, sinon que Tout nétait rien de ce qui existe de sensible, que Tout était le Rien à cet égard où il lui soit possible dêtre le Rien ? Si cette assertion ne disait pas cela, elle serait alors négative du Rien, comme elle le serait du Tout : par exemple, si elle disait Tout nétait Le Tout ; or ce sens nest assurément point celui de lassertion ; donc elle dit en effet quavant le temps Tout était Rien ; comme je le dis. Il ny a dans elle que le passé de trop, puisquon ne peut pas, sans absurdité, établir du passé avant le temps. Son énoncé exact est quabstraction du temps, ou du sensible, Tout nest rien de sensible, Tout est Rien. Par le Rien, dira-t-on peut-être, on entend négation de toute existence ; ainsi, le Rien nest pas seulement négation de toute existence sensible, de lexistence positive, mais négation même de lexistence qui nie le sensible, de lexistence négative. Je réponds que le Rien ne peut pas être négation de lexistence qui nie le sensible, puisquil serait alors négation de ce qui nie le sensible quil nie, et négation, conséquemment, de ce quil nie. Sil était négation de lexistence négative, il serait négation de la négation, il se nierait lui-même : or cest ce qui répugne tellement quil suffit de ce peu de lignes pour en convaincre. Aurions-nous toujours le mot rien à la bouche, si nous / nen avions pas la perception ? Et ce mot dit-il jamais dans notre bouche autre chose que la négation de telle ou telle chose sensible, de liqueur dans un vase, dargent dans une bourse, de meubles dans un appartement, où il nen paraît point ?
Le Rien étant Tout, on ne peut pas le mettre en contrariété avec Tout : on ne peut pas dire Tout ou Rien. Cest avec la seule existence relative, ou sensible, quon peut le mettre en contrariété, aussi nest-ce quà légard du sensible que nous disons tout ou rien.
La difficulté, jusquà présent insoluble, sur un Dieu qui tire les êtres dailleurs que de lui lui-même, et qui les tirent du néant, est résolue dès quil se trouve que ce Dieu est le néant lui-même : cest par un cri de la vérité que nous disons des choses de ce monde quelles sont un pur néant.
On dit probablement, et par antithèse, quêtre tout, cest nêtre rien, mais cest uniquement à légard du sensible quon le dit ; car cela ne veut rien dire, sinon quêtre tout, ou encore, que prétendre, par exemple, être savant en tout, cest nêtre rien de ce quon prétend être : omnis homo, nullus homoa. Il na jamais, vraisemblablement, été écrit, ni dit, ni pensé, jusquà moi, que Tout et Rien fût la même chose. On a toujours cru absurdement que le Rien était la négation de toute existence ; on a toujours été de la plus profonde ignorance de lexistence négative, et il nen fallait pas davantage pour être à des milliards de lieues de la vérité, pour donner dans toutes les absurdités possibles, ou pour combattre ces absurdités sans pleine connaissance de cause, comme fait lathéisme. Le déisme les combat aussi, mais avec restriction, il digère les fondamentales.
Que peut-on entendre par le Rien, sinon la négation du sensible, de tout ce qui est relatif, sinon la négation des mots mêmes dont je me sers pour définir et du nom même quil a ? On nentend rien du tout, dira-t-on, mais ej nentends rien du tout aussi par le Rien, puisque je dis du Rien quil est la négation du Tout. On ny attache aucune idée, répliquera-t-on, mais nest-ce pas lui en attacher une que de dire quil nie lexistence des choses sensibles ? Cest une idée négative, répliquera-t-on encore, mais lidée de linfini, de lêtre qui nie le fini et les êtres finis, est une idée négative, et cependant nous concevons que linfini / existe ; donc ce nest pas une passion, parce que lidée du Rien est négative, que le Rien nexiste pas. Si lon veut que le Rien soit la négation de linfini, comme il lest du fini, et, conséquemment, quil ne soit pas linfini, quil ne soit pas Tout, comme je le prétends : voilà encore le Rien qui est la négation de la négation, et cest une absurdité.
Lidée que nous navons pas la perception du Rien est fondée sur ce que nous nen avons pas une perception sensible, mais une telle perception de lui répugnerait, puisquil est la négation du sensible. Il en est de même de la perception de Tout, ou de linfini, et si nous concevons quil existe, sans convenir également de lexistence du Rien, cest que nous navons pas dit de Dieu quil était le Rien, comme nous avons dit de lui quil était Tout, ou linfini. Mais doù vient que nous ne lavons pas dit également ? Cest que nous avons voulu, contre toute raison, que linfini fût positif, et que nous navons pas voulu dautre existence négative que celle du Rien, mais dans lidée quil était la négation de toute existence, idée absurde qui a toujours eu son existence et son principe dans lignorance où nous avons toujours été de lexistence négative, et que Tout était cette existence. Quelle preuve cependant que la preuve péremptoire de lexistence du Rien, et que le Rien, le chaos, linfinité, limmensité, léternité, &c., sont la même chose, sont Tout, sont Dieu considéré comme être unique !Quelle preuve encore que celle de la différence inconnue jusquà présent, quoique toujours faite, du Tout à Tout, entre Le Tout et Tout !
Quand nous disons de Dieu quil est notre Tout, nous le considérons relativement à nous, mais ce nest plus cela quand nous disons de lui quil est Tout puisque nous nous renfermons alors dans lui, et que nous ne pouvons plus considérer que lui. Quon applique ces façons de parler daprès le cri de la vérité, qui se fait toujours entendre plus ou moins, à ma définition de lExistence, et quon ne perde pas de vue que je prouve lexistence du Tout en prouvant lexistence de Tout, et lexistence de Tout en prouvant celle du Tout.
Tout a la raison de son existence dans Le Tout, qui a également la sienne dans lui, en même temps quil la dans ses parties. Il sensuit de là que Tout est relatif au Tout ; et sil a ce rapport, le / seul et unique quil ait, cest quil affirme Le Tout en le niant, comme je lai établi.
Le rapport de Tout au Tout est purement négatif, et quand je dis de Tout quil est sans rapport, jentends : sans rapport positif. Le rapport négatif de Tout au Tout affirme nécessairement lexistence du Tout, et, conséquemment, celle de ses parties : cest linfini qui nie et affirme tout à la fois le fini ; cest le Rien nie et affirme tout à la fois lexistence sensible, et qui par là est la contradiction même. Tout dans Le Tout (mais non pas telle ou telle chose) est Le Tout : tout dans Le Tout et Le Tout sont Tout ; ou, si lon veut, tout dans le temps est le temps, et tout dans le temps et le temps sont léternité ; léternité prise négativement, car on la prend positivement quand on parle déternité antécédente et subséquente, et quau lieu de la définir comme ce qui na ni commencement ni fin, ce qui nie tout commencement et toute fin, on la définit comme ce qui a toujours été, ce qui est, et ce qui sera toujours. : définition positive qui ne convient quau temps. Tout est le tout du Tout, comme Le Tout lest des parties. Ces deux êtres, qui le sont le même vu sous deux aspects contraires, sont la seule science, tout le reste est connaissance ; et cette seule et unique science, ou la Vérité, est tellement nous et tout ce qui existe que sa clarté, quand elle nous frappe, ne nous semble jamais quune réminiscence.
Le mit Dieu est à retrancher de nos langues, à cause de lidée de moralité et de celle dintelligence quon lui a attachées, et de lidée du Tout et de celle de Tout que lon a confondues dans lui, en le disant infini et parfait, ce qui ne peut pas se dire du même être : il faut nécessairement deux noms pour exprimer la substance vue sous ses deux aspects contraires, puisquelle affirme sous lun ce quelle nie sous lautre.