Discours de soutenance de thèse

Tristan DAGRON

Pièces inédites
Mémoire de synthèse : « Humanisme, platonisme et panthéisme. Recherches sur la Renaissance et l’âge classique », 126p..
Mémoire inédit : « Toland et Leibniz. L’invention du néospinozisme », 389p.


HDR de Tristan Dagron, soutenue le 12 décembre 2006, à l’Université de Paris IV
Sous la direction de Pierre-François Moreau.
Jury présidé par Michel Fichant : Vittoria Perrone Compagni, Gianni Paganini, Antony McKenna, Pierre-François Moreau.

Travaux joints au dossier (hors articles) :

[1] Unité de l'être et dialectique. L'idée de philosophie naturelle chez Giordano Bruno, Vrin, Paris, 1999 (417p.).
[2] Bruno, G., La cabale du cheval pégaséen, Œuvres complètes VI, éd. G. Aquilecchia, introduction et notes N. Badaloni, traduction (de l'italien) T. Dagron, Les Belles Lettres, Paris, 1994 (210p.).
[3] Toland, J., Clidophorus, traduit de l’anglais et présenté par T. Dagron, Allia, Paris, 2002 (94p.).
[4] Toland, J., Lettres à Serena et autres textes, introd., éd. et notes T. Dagron, Paris, H. Champion, 2004 (410p.).
[5] Toland, J., Le Christianisme sans mystères, introd., éd. et notes T. Dagron, Paris, H. Champion, 2005 (271p.).
[6] Léon Hébreu, Dialogues d’amour, trad. Pontus de Tyard (1551), éd. S. Ansaldi et T. Dagron, introduction et notes explicatives T. Dagron, Paris, Vrin, 2006 (530p.).
[7] La Boétie, Discours sur la servitude volontaire, édition L. et A. Tournon, présentation T. Dagron, suivi de Les paradoxes de la servitude volontaire. Etudes de Ph. Audegean, T. Dagron, L. Gerbier, F. Lillo, O. Remaud, L. Tournon, Paris, Vrin, 2002 (177p.).
[8] Mondes formes et société chez Giordano Bruno. Actes du colloque international G. Bruno (Paris, mars 2000), éd. T. Dagron et H. Védrine, Paris, Vrin, 2003 (221p.).


Présentation de Tristan Dagron

Je voudrais commencer par remercier les membres du jury d’être là, et d’avoir bien voulu consacrer un peu de leur temps à cette soutenance, et présenter en quelques mots les orientations principales de mes recherches. Depuis ma thèse, mon travail historique s’est organisé autour de trois figures principales :
1) autour de Giordano Bruno, avec d’abord la traduction de la Cabale du cheval Pégase, puis avec mon travail de thèse consacré à la dialectique de la cause, du principe et de l’un.
2) autour de John Toland, avec deux éditions et un mémoire inédit consacré à ses échanges avec Leibniz.
3) autour de Juda Abravanel et de ses Dialoghi d’amore, avec l’édition entreprise avec Saverio Ansaldi de la traduction française de Pontus de Tyard.
Chacun de ces sujets d’étude a été aussi l’occasion de circuler un peu au voisinage des textes qui m’ont servi de points d’attache, ou de postes d’observation. D’abord par curiosité, mais, aussi, à la réflexion, pour des raisons méthodologiques.

Concernant Bruno, plutôt que de céder à la fascination de l’infini, j’ai préféré me consacrer à l’isagogé de cette philosophie qui propose de penser l’être et la nature indépendamment de la figure de l’ordre ou du monde. Mon enquête, en cela, s’étayait sur Bruno comme sur un témoin exemplaire de son temps : elle regardait plus largement ce moment de confusion et de crise qu’on appelle la Renaissance, et visait à restituer à ce temps les coordonnées métaphysiques d’une expérience que je tâchais d’appréhender dans sa spécificité. D’où un livre intentionnellement déséquilibré consacré pour une part importante à d’autres auteurs : principalement aux deux Pic, à Ficin, et à Pomponazzi. La thèse en était simple : l’être n’est pas un problème, et ne tire sa consistance et sa puissance que de sa convertibilité avec l’un. En d’autres termes : la logique de l’être n’a rien à nous apprendre. J’ai passé près de cinq ans à explorer ce cadre vide.

Il fallait peut-être en passer par là pour être en mesure de saisir le sens de la lecture immanentiste de Platon, de la doctrine de l’immense, de la productivité de la matière, et de la continuité des formes. Ainsi que du dialogue engagé avec les traditions du péripatétisme médiéval. Au terme de ce travail, cette isagogé de Bruno était un peu devenu la mienne : un instrument ou une introduction permettant d’appréhender un mode de philosopher à l’œuvre dans beaucoup d’autres textes et chez beaucoup d’autres auteur, y compris chez ceux qui ne partageaient pas les doctrines proprement dites de Bruno. Elle a surtout été nécessaire pour donner sens au « platonisme » de la Renaissance, et d’abord à cette « logique » de l’idée ou de l’essence qui, à mon avis du moins, rend si déroutante l’appréhension des textes de l’époque. Cette doctrine, j’ai tenté de l’articuler au « platonisme », sinon de Platon lui-même, et à la doctrine de l’idée interprétée d’abord à la lumière de dialogues de la maturité et des spéculations relatives à la division du continu.

A partir de ce travail de thèse, j’ai engagé une recherche sur les « mathématiques » de Bruno, avec l’intention de prendre appui sur la dialectique descendante esquissée seulement dans De l’infinito, mais dont les hésitations et les apories ne seront partiellement levées que plus tard, dans textes de 1591. Ce travail m’a conduit à mener en parallèle une recherche sur le Commentaire du Parménide de Ficin qui sert manifestement de matrice à la spéculation de Bruno : la remontée vers l’un qui faisait l’objet du De la causa, cède la place à la considération du « nombre infini » ouverte dans la seconde hypothèse, et à la série de ses effets, l’univers infini, la doctrine des monades et la logique du minimum qui, elles, se rapportent à l’atomisme de la quatrième hypothèse. Ce travail inédit à ce jour a nourri mes autres recherches, largement déterminées par cette doctrine de l’idée.
Cette recherche un peu austère, je m’en suis délassé avec mes travaux sur Toland et Léon Hébreu, mais sans en abandonner finalement la perspective particulière : l’enquête sur la logique spéculative du platonisme.
Avec Toland, très loin de mon épicentre, j’ai pris le parti d’explorer ces failles ou ces fractures qui m’apparaissent finalement comme des effets lointains et différés de la « crise humaniste », en m’imposant ainsi un point de vue plutôt rétrospectif que prospectif sur ces Lumières naissantes.
Ce biais historique a été ma raison d’être dans l’univers peu familier de l’âge classique. Mon sous-titre, « l’invention du néo-spinozisme », est sans doute un peu trompeur. Dans la mesure où mon travail sur Toland s’attache à mettre en avant l’importance de la « Réfutation de Spinoza », j’ai en effet de sérieux doutes sur le prétendu « spinozisme » des Lumières. Peut-être parce qu’ici encore ma construction est d’abord métaphysique, et que le nœud de l’affaire me paraît tenir à l’improbable thèse d’une causalité univoque de l’attribut. Si je donne à penser Toland à compter parmi les inventeurs du « matérialisme » des Lumières, c’est que je le considère comme un témoin particulièrement lucide des difficultés spéculatives et des apories que la pensée des Lumières aura à affronter, sans d’ailleurs toujours y prendre garde, ni certainement être toujours à la hauteur des enjeux en question.

Mon intérêt était ailleurs. Dans le dialogue engagé avec Leibniz, à l’ombre de quelques savantes princesses. Mon projet a été d’en épuiser les attendus, autant que possible. D’où les nombreux détours, les multiples excursions et d’improbables effets de composition, comme l’important détour cabalistique autour de Wachter de Henry More et de la grande Anne Conway. En écrivant ce roman d’une rencontre, j’ai essayé constamment d’ajuster les grandes idées aux petites intrigues, et j’y ai été aidé par la nature même du matériau que j’ai livré mon édition du dossier relatif aux Lettres à Serena : pour l’essentiel de courts textes, très circonstanciés, dont l’intérêt philosophique n’allait pas de soi. J’ai préféré cette perspective au tableau un peu monotone que Jonathan Israel propose des Lumières qu’il appelle « radicales », faisant mienne, pour l’occasion, la devise d’un célèbre détective anglais : « mieux valent des balivernes claires qu’une vérité confuse ». Et j’entends, par « balivernes », les raisons dialectiques telles que Platon les définit lui-même dans son Parménide.

L’édition des Dialogues d’amour, entreprise avec Saverio Ansaldi, a d’abord été faite, de mon point de vue au moins, dans un souci pédagogique de diffusion : il s’agissait de mettre à disposition l’un des textes les plus lus du XVIe siècle. Le titre d’abord avait éveillé ma curiosité : chacun sait bien que de tels dialogues sont pour ainsi dire impossibles. Tout comme l’histoire un peu badine de ce Philon pourchassant bien maladroitement, et si vainement, de ses assiduités la malicieuse Sophie. Mais la petite histoire s’enracinait dans un plus grand drame, celui de l’Expulsion. A la lumière de ce traumatisme, le jeu littéraire prenait alors une autre dimension, autrement plus nécessaire. La question que j’ai d’abord eue à me poser était simple : quel intérêt un Juif élevé dans la plus grande tradition intellectuelle du monde séfarade a bien pu trouver aux spéculations italiennes de son époque ? Les Dialogues, souvent lus unilatéralement comme manifeste néoplatonicien agrémenté, pour le goût du public, de curiosités hébraïques, devait prendre un sens tout différent. Pour aller vite, j’ai acquis assez vite la certitude que cette culture latine ou italienne, sans être tout à fait inessentielle, restait largement superficielle, sinon superfétatoire, et que le fond de l’affaire tenait à un dialogue avec la tradition et la culture philosophique et rabbinique du judaïsme ibérique. A cet égard, la grande question était, comme toujours, de savoir que faire de Maïmonide. Les choses ont été plus claires quand j’ai pris la mesure de l’horizon historique des Dialogues qui confronte ce que j’ai tenté de définir comme l’utopie farabienne, celle de la « première académie des Arabes » (Maïmonide compris), la crise averroïste (moment qui inclut Ibn Bajja et Ibn Tufayl). Il m’est apparu qu’aussi bien Isaac Abravanel que son fils Juda, comme nombre de leurs contemporains, réfléchissaient manifestement l’Expulsion comme l’effet différé de cette crise intellectuelle, politique et religieuse. Sans en avoir d’abord l’intention, je me suis finalement attaché à ce « mythe vraisemblable » de la modernité juive. Cet arrière-plan, lui-même assez complexe à démêler pour moi, même à gros traits, m’est apparu constituer le fond original sur lequel Juda déposait les couleurs du platonisme florentin, avec des effets de composition assez singuliers, mais très prégnants. J’ai livré, dans mon mémoire de synthèse, quelques considérations un peu libres sur le sens que j’ai donné au travail d’annotation de ces Dialogues, qui a été pour moi une sorte de navigation particulièrement chaotique.

Les historiens de la philosophie de la Renaissance ont souvent pour travers de se poser des questions en apparence très inutiles et éloignées de ce que devrait être leur recherche. La première est de savoir ce qu’ils font là, plutôt qu’ailleurs, à tenter de lire des textes dont bien souvent l’inscription dans la tradition philosophique leur paraît souvent, et à eux les premiers, tellement problématique. Cette interrogation, j’ai essayé de m’en expliquer, est d’abord commandée par la nature de bien des énoncés et des registres discursifs auxquels on a affaire, et qui, bien souvent, ne paraissent viser qu’à déjouer la forme du système, l’horizon de l’identité du sujet et de l’objet, au profit d’une pensée du paradoxe et de la contradiction.
J’ai passé du temps à me demander, depuis mon travail de thèse, comment ces choses-là étaient écrites, et ce que signifiait ce mode de philosopher qui faisait si peu de cas de la façade, et tendait si souvent à présenter l’horizon du système comme un simple effet de figuration. C’est dans cet esprit que j’ai ressenti la nécessité de m’intéresser à l’historiographie de la Renaissance, à celle du moins qui, depuis Cassirer, tâchait d’interpréter cet état de fait. D’Individu et cosmos, tout comme des écrits de Panofsky, j’ai surtout retenu la leçon négative : les philosophes de l’époque de l’Humanisme livrent à la « modernité » des apories qu’ils sont incapables de résoudre, faute de concepts nouveaux et de solides fondements. Cassirer et Panofsky allait encore plus loin, opposant cet « humanisme » qui s’abîme dans la contemplation mélancolique des ruines du passé, à l’« humanisme » authentique du classicisme allemand qui parvient à réinvestir ces traces, et à les réinsérer dans le devenir historique : en s’emparant de ces souvenirs-témoins, à remettre le temps en marche. J’ai tenté de résister, autant que possible, à cette illusion herméneutique qui vise à « comprendre » ces œuvres et à les réinscrire dans le « présent éternel » de l’esprit humain. Mon idée de l’histoire est différente, et l’horizon d’une « genèse de la modernité » ne m’a jamais fasciné. Pour le dire de manière un peu libre, je me suis consacré plutôt aux traces de ce qui n’est jamais advenu. C’est une autre manière de comprendre le métier d’historien, et de s’interroger aussi sur notre présent. Elle n’est en rien originale, mais elle mobilise assurément d’autres catégories que celles de l’herméneutique inspirée du néo-kantisme ou de la phénoménologie.
C’est muni de ces idée que j’ai cru pouvoir considérer que les « apories » mises en avant par Cassirer méritaient d’être envisagées non pas du point de vue de leurs solutions systématique, mais dans la perspective des contradictions qu’elles mettent en scène. Non pas en tant qu’elles abolissent l’ordre du concept, mais en tant qu’elles subordonnent son horizon systématique à une logique différente. C’est en ce sens que mon travail m’a finalement conduit à prendre très au sérieux ce platonisme pour lequel, aux dires d’Aristote, « l’infini et l’indéterminé englobent et définissent ». Et surtout à réfléchir sur les effets d’un tel principe sur notre activité de figuration.
C’est à la lumière de cette logique de l’idée que j’ai tenté de définir un style de pensée que je pensais retrouver dans beaucoup des textes que j’ai eu l’occasion d’aborder. En ce sens, j’ai pensé pouvoir caractériser, de manière encore problématique, l’Humanisme comme une « pensée clinique », une pensée qui ne regarde pas l’homme, mais l’« humain », et la série indéfinie de ses « condition » ou de ses virtualités. C’était prendre au sérieux deux choses : la transcendance de l’idée ou de la norme, et surtout la doctrine du mélange. Par cette interprétation, j’entends d’abord définir le point de vue qui a été le mien face à des textes au premier abord assez déroutants.
Par l’expression de « pensée clinique », je veux d’abord caractériser un degré ou un niveau de généralité du discours : celui qui ne vise ni le genre ni le singulier, mais le cas d’espèce. Et qui réfléchit la nature commune à partir de ces virtualités spécifiques ou de ces « raisons » toujours susceptible de venir à l’expérience. Ce type d’universalité est évidemment au cœur du discours médical et juridique qui me paraît informer la perspective propre de cet « humanisme ».

Cette pensée de l’espèce ne se rapporte pas exclusivement ni nécessairement au platonisme, puisqu’elle informe largement les spéculations relatives aux formes spécifiques des philosophes et médecins du Moyen âge : j’ai tenté de suggérer la chose à partir de Pietro d’Abano et de Pomponazzi. Elle trouve cependant, à mes yeux, dans le platonisme, des coordonnées logiques et métaphysiques particulièrement convaincantes, ne serait-ce qu’au travers la thèse de la transcendance du principe idéal qui impose bien de réfléchir la variété fondamentale des participants distribués, comme le dit Plutarque, au voisinage d’un fantasme, ou encore, pour reprendre une expression brunienne, sous l’ombre de l’idée. Tout cela, il ne suffit pas de le dire ; encore faut-il en mesurer les effets, et les limites.
Ces considérations, j’ai dans l’idée qu’elles nous débarrassent salutairement de la doctrine de l’homme, singulièrement mise à mal au moins depuis Pic, au profit de l’idée d’humanité, entendue comme un horizon extrêmement large de possibles, puisqu’elle embrasse aussi bien les vies sublimes et angéliques que les existences brisées et végétatives, de la manie paulinienne à la catatonie du Tasse. Cette clinique et l’idée d’une causalité de l’espèce me paraissent encore rendre raison de l’exigence, partout présente, de subordonner la doctrine de l’institution et de l’ordre, à une problématique de la constitution et de la complexion, sujette aux métamorphoses, qui définit, je crois, le lieu propre aussi bien de la « vérité effective » machiavélienne, que de la magie d’Agrippa, ces deux piliers de la philosophie pratique de l’époque de la Renaissance.
A mes yeux surtout, cette doctrine de l’idée et de l’espèce constitue sans doute une construction ad hoc pour y voir un peu plus clair dans le labyrinthe de la philosophie de l’amour et de la subjectivité. J’ai passé du temps à tenter de comprendre ce que Cassirer voulait dire en soutenant que, faute d’accéder à l’horizon du système et à la perspective de l’identité du sujet et de l’objet, le « moi » de Bruno se trouvait, dans son rapport à l’objet, dans la situation de l’« englobant-englobé ». J’ai fini par trouver dans la clinique de l’amour de Ficin, de Léon et de Bruno de quoi donner sens à cette situation, à partir d’une riche dialectique du désir et de la représentation, qui me renvoyait finalement à la doctrine platonicienne de l’âme comme mélange, tierce essence et lien. En un mot, le désir n’est pas la faculté d’un sujet ou d’une âme, mais le principe même de l’existence d’un sujet à proprement parler. C’est le sens de la formule de Ficin qui, en soutenant que « l’homme, c’est l’âme », énonce d’abord une exigence, un tâche ou un idéal, celle de se rendre « humain », — à la manière encore de Montaigne qui définit la perfection humaine par la capacité « de jouir loyalement de son être ». La question est encore au cœur des Dialoghi d’amore, dont le fameux passage consacré à l’androgyne biblique met en scène une genèse analogue de l’âme. Et cette difficulté ne saurait évidemment être résolue en répétant, comme saint Thomas contre Averroès, que « l’homme pense » : au regard des attendus que j’ai faits miens, la formule apparaît largement vide de sens et sonne comme une charitable pétition de principe.

A la réflexion, c’est bien autour de cette idée d’une « clinique humaniste » que ce sont organisés mes travaux, depuis la question de la dialectique de l’idée, jusqu’à peut-être mon jeu de patience sur Toland et Leibniz. J’ai dans l’idée qu’une telle pensée du sujet fait, pour ainsi dire, époque, et qu’il serait intéressant de prolonger sur ces bases l’enquête un peu rapide que Foucault a consacré à la Renaissance, dans le premier chapitre de son Histoire de la folie. Non pour en réfuter les conclusions, mais plutôt pour les développer et leur donner une autre armature. C’est la raison pour laquelle j’ai aussi été particulièrement attentif, en lisant Cassirer et Panofsky par exemple, au diagnostique d’échec intellectuel qu’ils portaient tous deux sur la philosophie de la Renaissance, et au fait que ce diagnostique s’appuyait largement sur des catégories dont le sens psychopathologique me paraissait évident et, en un sens, pleinement justifié. Au bout du compte, il fallait rendre raison du fait que l’expérience du sujet, dans son rapport à ses objets de désir et de connaissance, ne se laisse pas enfermer dans la tranquille solitude du cogito, mais se livre à travers le destin d’un Actéon ou dans l’étrange navigation d’un Montaigne. Si l’amour est le nom générique de ce processus paradoxal de subjectivation, la question se pose bien de savoir quelles peuvent être les formes de l’expérience possible de soi, du monde, de l’histoire et de l’existence civile, au regard de cet « Humanisme » un peu problématique.
Je résumerai volontiers tout cela par cette unique question, qui est celle de la philosophie de l’amour qui m’a tant occupé : que signifie habiter une demeure étrangère ? C’est la raison pour laquelle j’ose à peine remercier la très longue série de ceux et celles qui, d’une manière ou d’une autre, ont bien voulu m’accorder leur hospitalité. Je dirai seulement un dernier mot de cette précieuse institution qu’est le CNRS, en remerciant surtout mes deux directeurs qui m’ont constamment soutenu et m’ont permis d’y travailler en très grande liberté.