Discours de soutenance de thèse

Ninon GRANGÉ

La cité en guerre : crises, transgressions, limites

Thèse soutenue le 19 décembre 2003 à l'ENS-LSH, sous la direction de Michel Sénellart et Bernard Manin

Jury : Michel Sénellart (directeur), Bernard Manin (directeur), Carlos Lévy, Paolo Cristofolini, Pierre-François Moreau (président de jury).

 

À l’origine de ce travail réside l’incompréhension devant la fascination éprouvée presque universellement pour la guerre, à laquelle personne ne semble échapper. Le désir de rationalité en était l’immédiate réplique, d’autant que la guerre n’appartient pas à un domaine d’intelligibilité immédiat.

Je me posai en effet deux questions de manière confuse : - Pourquoi les faibles, contre toute attente, sont-ils parfois vainqueurs des plus forts ? Les résistances, les guérillas de toutes sortes étaient en ce sens un problème aussi inattendu dans leur surgissement historique qu’imprévisible dans leur devenir. – Plus généralement (c’était le deuxième point d’interrogation) la rupture était irréconciliable entre une vision noble de la guerre régulière et sa réalité toujours repoussante et effrayante, ce qui n’est pas le moins fascinant. À l’exaltation de la violence, à la beauté d’une armée romaine parfaitement chorégraphiée, au sublime du comportement valeureux, répondent les récits de l’horreur et de l’enfer. Cette dernière ambivalence peut être résumée par l’attitude de la Reine Victoria, à qui l’on présentait un ancêtre du sous-marin susceptible de frapper soudainement sa cible, et qui eut un haut-le-cœur scandalisé parce que l’attaque se ferait « without warning », sans avertissement de la première salve. Le mystère résidait dans ce gouffre entre la barbarie et l’honneur dès lors que l’on aborde la guerre.

Ces interrogations ont été dans un premier temps suscitées et relayées philosophiquement par un travail de D.E.A. sur Vico et sa conception politique des relations entre nation, cité et personne, travail dirigé par P.-F. Moreau. En effet, Vico ne fait pas de différence marquée entre les différentes guerres, en revanche il insiste tout particulièrement sur l’importance des asiles dans la fondation des cités et sur le rôle moteur des sécessions de la plèbe ; même si Vico fait d’abondantes références à l’histoire des peuples, il n’hésite pas à comparer différentes durées historiques parallèles ou en rupture. De surcroît, je m’aperçois seulement maintenant de l’influence qu’a dû imprimer la philosophie de Vico sur ce travail puisque la politique et l’imagination sont indissolublement liées dans la Science Nouvelle. L’idée selon laquelle la cité réagit au risque de mort, voire au risque absolu d’extinction, par des séparations fictives entre types de guerre, par des démarcations construites entre l’ami et l’ennemi, enfin par l’imagination d’une origine violente pour accepter la violence actuelle, provient sans doute de la démonstration vichienne de l’importance de la relation entre raison et imagination, entre « fantaisie » et histoire des nations. Vico invite à prendre au sérieux que l’imagination est vraie et qu’il y a un rapport plus confus entre le concept et l’image, qu’on est porté à le croire au premier abord.

Enfin une motivation — mineure — pour ce travail sur la guerre : était-il possible de prendre une petite place dans ce domaine généralement dévolu aux hommes et à la virilité ?

Parce que la littérature sur la guerre est foisonnante, diverse, multidirectionnelle, parfois passionnelle, il importait de reprendre la réflexion à la base et d’adopter une démarche caractérisée par la naïveté radicale, et donc périlleuse, afin de comprendre la disjonction entre les lois de la guerre et la réalité de la tuerie sanglante. Le voisinage asymétrique et apparemment imperméable entre la guerre et la guerre civile en était le premier élément. Devant l’abondance des études de sociologie, d’histoire, d’anthropologie, de stratégie, ou de droit, il semblait nécessaire de constituer un préalable unifié pour cette diversité qui, en outre, laissait dans l’ombre la guerre civile, comme objet indigne d’analyse. À partir du moment où la recherche s’orientait vers un objet d’étude qui était une notion, la construction de concept plutôt que le décryptage de doctrines s’imposait naturellement. Aussi les ouvrages de plus en plus spécialisés ne se retrouvent-ils plus que dans la bibliographie historico-thématique, sous la forme de trace témoignant des lectures préalables. Le foisonnement de la littérature sur la guerre, ses répétitions et l’ambivalence non interrogée entre lois et absence de loi, m’ont amenée, sans originalité, à écarter tous les faits dans un premier temps pour tenter d’élaborer les prémisses d’un examen conceptuel afin, par la suite, de rouvrir les livres. C’est pourquoi, pour partir d’une réflexion uniquement centrée sur la guerre, on s’en est tenue au centre de gravité de la cité, siège et source de la violence collective, indépendamment des régimes politiques.

La notion évidente de la guerre à laquelle correspond un concept vague, objet non identifié dès lors que l’on introduit la guerre civile, l’impossible coïncidence entre analyse normative et analyse descriptive, font de la guerre interne, notamment concernant la limitation hétérogène et extérieure à la violence organisée, un point aveugle de la réflexion méritant un traitement rigoureux.

C’est ainsi que 1è) j’ai comparé guerre extérieure, étrangère, régulière, et guerre paradoxale, c'est-à-dire la guerre qui fait que la cité est sens dessus dessous et retourne la violence contre elle-même, pour montrer que cette distinction cachait en fait une permanence dans la conduite de la guerre : la guerre externe emprunte des aspects à la guerre de guérilla par exemple et évite à la cité de sombrer dans le conflit civil ; la guerre interne tend à imiter la régularité, impossible à atteindre, de la guerre étrangère. C’est ce que j’ai appelé la référence abstraite à la guerre régulière, l’analyse des modes de scission interne secondarisant le modèle de la guerre-duel puisque les limites n’empêchent pas les transgressions répétées. 2è) La réflexion ainsi engagée entendait, pour le travail du concept proprement dit, extraire (isoler/nommer) des invariants, notamment à partir du centre de la cité-en-guerre. La conjuration de la guerre interne, qui renverse les lois et mœurs de la cité et menace de lui faire perdre son identité (en opposant des civils à des membres de leur propre communauté politique) met en évidence le paradoxe de structures généralement cantonnées à la sphère extérieure, qui sont rabattues sur l’intérieur. Cela a été permis par l’étude du povlemo" et de la stavsi", assise de la réflexion. L’oubli de la réalité désignée par la stavsi" était un objet d’interrogation, puis un aiguillon, enfin une ligne problématique constante. 3è) Un mouvement d’abstraction est censé achever la démonstration, avec pour objectif, la plus riche extension au concept de guerre. Des marques et remarques sur la guerre, issues des situations historiques abordées et des textes relevant d’une hypothétique « philosophie de la guerre » allant des théories de la guerre juste aux conceptions contemporaines sur le droit international, a été abstraite la présence, à divers degrés, de la stasis (cette fois comme concept) dans toute guerre. Simple peur ou révolution, elle est un arrêt et un bouleversement de fond en comble de l’identité politique.

La méthode a donc suivi le cheminement suivant : je suis partie des choses, c'est-à-dire du phénomène-guerre dont les réalités sont multiples et différentes, pour les ramener à l’unité des mots (par exemple l’invalidation de « guerre civile » au profit de « guerre paradoxale », le « preneur d’armes » pour désigner les insurgés, résistants, et autre rebelles, ou encore une interrogation sur la « guerre mixte »). Cette réaction au multiple désordonné s’est poursuivie par le travail du concept pour rendre compte du polymorphisme de la cité en guerre et des variations de l’identité politique.

Ainsi on a suivi une procédure au demeurant classique qui de l’hypothèse passe par des déductions pour s’achever en conclusions provisoires qui sont à leur tour des hypothèses pour la poursuite du raisonnement. De sorte que le plan de la thèse peut se lire à plusieurs niveaux. Les deux premières parties, sur l’invalidation de la notion de limite et la structure élémentaire qui en fait la substance, à savoir la désignation de l’ennemi, aboutissent à la synthèse de la troisième partie où la nature de la guerre procède du paradoxe de l’absence de limite dans une cité close et de l’ennemi qu’il faut toujours mettre à distance pour lui faire la guerre. C’est ce que j’ai identifié comme une nature extra-légale de la guerre, qui se fait dans un espace en marge de la loi, cette dernière n’étant respectée que par intermittence. Mais à un autre niveau, la progression est linéaire : la cité en guerre, en l’absence de limite intrinsèque, a besoin de désigner un ennemi, les protagonistes ont besoin de s’auto-proclamer ; de la transgression des lois on passe à une fixation de la valeur de l’ennemi, que ce soit pour instaurer une réciprocité ou au contraire pour criminaliser l’adversaire et le considérer hors l’humanité ; en conséquence — c’est ainsi qu’on peut lire le troisième moment — la définition de la guerre dépend du contenu assigné à l’ennemi et fait de l’état de guerre un état indéterminé que la cité (le gouvernement, les acteurs, les armées, les civils) s’emploie à investir de fictions politiques, afin de maintenir un certain niveau de cohérence de la société.

La méthode observe donc deux lignes argumentatives : une ligne qui fournit un cadre théorique (ligne synchronique) et une ligne qui reconstruit une évolution dans l’histoire des concepts (ligne diachronique). Il m’a semblé impossible de tenir une ligne continue historiquement dans le sens où, en s’attachant à l’objet guerre et à la recherche de son unité, on rencontrait la discontinuité politique de la cité, la suspension de l’histoire dans la parenthèse (ou la permanence) de la guerre et où l’on était constamment sollicitée par des lignes philosophiques générales et des exemples concrets variés.

Cela entraîne cependant une difficulté majeure. Concilier les différentes disciplines au-delà de leur disparité, prétendre à une valeur totalisante, au moins en son début, du travail philosophique, abstraire les concepts, tout cela pose le problème du statut des textes convoqués. Sachant que concernant la guerre, la lecture des philosophes n’oblitère pas la connaissance du corpus spécialisé, et qu’elle s’en nourrit même implicitement, la guerre civile a été privilégiée dès qu’elle apparaissait. La démarche ne s’inscrit donc pas dans l’histoire de la philosophie mais s’appuie sur les auteurs tant comme aide à la réflexion que comme exemplarité des problématiques. Aux auteurs évoqués revenait une fonction révélatrice qui dessinait ses propres lignes directrices. J’ai dégagé une fonction matricielle des avancées cicéroniennes, avec des ramifications chez plusieurs auteurs, et plus généralement une sorte de surplomb panoramique de la philosophie antique. Il ne s’agissait donc pas de rien décrypter quant à l’ensemble de la pensée de Cicéron ou de Machiavel mais d’être attentive et accueillante à ce qu’ils révélaient de la guerre, la trame n’étant plus doctrinale et historique mais thématique et notionnelle. Les rapprochements construisent aussi la vérité sur la guerre. La discontinuité historique avait pour corollaire la reconstitution de lignes problématiques qui réunissaient, comme en des séquences conjointes, Aristote-Thucydide et Hobbes, Cicéron-Machiavel-Spinoza, Cicéron-Rousseau-Robespierre etc. ce qui suscite une troisième lecture du plan de la thèse, non plus construit en trois grandes parties mais en multiples sous-parties. L’entrelacement des réseaux de sens établit des liens, en une sorte d’économie déséquilibrée de la recherche où doit se déceler un sous-plan, et dont n’est éclairée que la face conceptuelle. Il aurait fallu, je pense, pour rendre cette trame plus claire, resituer davantage les écrits dans leur contexte et insister en volume sur les moments d’arrêt et d’élaboration conceptuels, car dans la mesure du possible je me suis efforcée de faire suivre l’enseignement tiré de l’analyse des auteurs d’une exposition thétique sur les formes de la guerre. En ce sens, réduire la place du commentaire et insister sur les fondamentaux politiques qui en sont déduits aurait invalidé le soupçon selon lequel je ferais parler les auteurs à ma place. Évidemment si mes hypothèses de non-spécialiste peuvent avoir une valeur conséquente pour la connaissance d’un auteur en particulier, cela sera un bénéfice supplémentaire.

La méthode adoptée correspond davantage au tissage de plusieurs réseaux de significations et à la complexification progressive des notions. L’abstraction était en elle-même un problème : comment assimiler la tradition philosophique sur la guerre, s’y appuyer et en même temps dégager des concepts sans histoire ? Comment rechercher un invariant en comparant des situations très éloignées dans le temps et faire voisiner des auteurs en fonction d’un seul concept ? Comment enfin réunir sous l’expression simple d’entité politiquement organisée des réalités aussi diverses que la polis grecque, la civitas, la république ou l’État ?

De l’angle d’approche de la cité en guerre, j’ai déduit que ce contre quoi se construisait l’entité politique était la guerre civile, attitude qui implique la tolérance à la guerre extérieure comme référence non délétère. Le recentrage s’est fait sur les relations, et sur les métamorphoses de la cité en proie à la guerre, et, de manière ultime, sur les formes de la guerre, en tant que possible aliénation de la cité. Le problème ne portait pas sur les régimes mis en cause, mais sur les procédures mises en place par les protagonistes (l’instance dirigeante aussi bien que les insurgés, l’armée ou les rebelles) pour conserver ou renouveler l’identité politique de la cité. C’est donc la formalisation des relations politiques qui soutient le cheminement et la méthode. [La fonction révélatrice des auteurs cités était ainsi redoublée par la focalisation sur l’absence de la guerre civile.] Dans la méthode, l’analyse des procédures traditionnelles de tolérance et d’intolérance à la guerre ont été privilégiées, afin de mettre en évidence, dans un second temps, les implicites des auteurs considérés. Analyse et modélisation conduisent à l’idée suivante : les guerres participent — je crois pouvoir dire sans exception mais à des degrés divers — de plusieurs modèles concomitants, de sorte que l’état de guerre est d’abord indéterminé et ne connaît de déterminations que forgées et rétrospectives. C’est en cela que cette thèse est un préalable à la réflexion sur la guerre.

En fait pour combler les interrogations, rendre intelligible le phénomène belliqueux et résoudre les difficultés, c'est-à-dire pour rendre compte d’un phénomène éminemment politique — celui de la crise à son paroxysme — on a explicité ce qu’il y a sous le politique, ou avant le politique. Les fictions sont l’autre nom de ce qui est invisible et inconstitué et qui produit du visible constitué dans la cité.

Le principe de la réunion des réflexions sur la guerre à travers le filtre de la guerre civile a un bénéfice. En relativisant le modèle de la guerre-duel, en critiquant la notion de « guerre juste », en évacuant l’opposition de la guerre à la paix, on s’aperçoit que l’état de guerre n’est pas une donnée immédiate du politique. L’étude de la guerre civile montre en quoi celle-ci est exacerbation de ce qui se passe dans la guerre étrangère, dès lors qu’il n’y a plus de limites possibles au déchaînement de la violence collective et au renversement des valeurs.

Une seconde problématique a été exploitée qui traverse la recherche : concurremment à l’élaboration conceptuelle sur les formes de la guerre et les transformations de la cité, une étude des mots et expressions a été menée qui rend compte non seulement de la crise particulière qu’est la guerre, mais encore de la surenchère politique pour contrer tout mouvement de stasis. Les fictions politiques fonctionnent comme des figures de style et notamment des énoncés performatifs. La conjuration de la guerre civile épouse des mouvements assimilables à une amnésie volontaire, ou au contraire à un retour vers une origine mythique violente. C’était moins le mode discursif, que les séquences pour produire du sens politique, qui étaient à cet égard important. Dans cet ordre d’idée, à la guerre civile, assimilée à une violence archaïque et principielle, les acteurs opposent un irréel du passé, désir de reproduire une origine violente qui a dépassé la négation du politique pour faire naître le politique. L’irréel du passé est la traduction de l’imagination d’une autre identité pour la cité. Cette « grammaire » de la guerre pourrait être prolongée par une étude rigoureuse des lexiques et plus largement des discours, notamment dans la perspective bilatérale que j’ai évitée, pour entrer en quelque sorte dans les justifications et les procédures d’auto-légitimation des parties antagonistes, cette fois dans l’histoire.

Ainsi a été dégagée une temporalité belliqueuse spécifique, en termes politiques, qui révèle une antériorité logique de la guerre interne sur la guerre extérieure. De manière corollaire, aux formes et aux modèles de la guerre correspond la réaction de la cité qui met en place des fictions de séparation : l’indétermination doit nécessairement, pour que soit préservée l’identité politique, être comblée par un investissement voire une surenchère politique qui est le fait d’une armée, d’un gouvernement en prise au terrorisme, ou de partisans aspirant à la représentativité. La victoire ne serait pas une question de forces mais une question de manipulation des signes, de proclamation de l’ennemi, d’imagination de fictions politiques.

Enfin le résultat essentiel à mon sens, tant pour la définition conceptuelle de la guerre que pour le politique de manière plus vaste, tient précisément à la suspension de l’histoire caractérisant la guerre, qui laisse place au déploiement de ce que j’appellerai l’imagination politique. (Cela est philosophiquement manifeste avec la sortie de l’état de nature belliqueux vers une histoire politique de l’humanité : de l’hypothèse paradoxale naît une positivité.). L’imagination politique serait cette capacité de la cité, entendue cette fois comme ensemble des mécanismes politiques, à forger son identité à partir du chaos, en déterminant ses propres structures, que celles-ci répondent à des objectifs juridiques et constitutionnels ou bien à l’instauration violente d’un nouveau droit. De même que la guerre occupe un espace politique extra-légal, de même la cité investit ces espaces tout vides de déterminations précises et institutionnelles par des déterminations forgées, inventées sur le moment, dans l’urgence. On pourrait même parler, à propos de la société divisée, de réflexe identitaire inconscient. C’est dire qu’une sphère infra-politique violente est constante sous le politique visible et que la cité est faite de réseaux aussi bien imaginaires, inventés ou mythiques que d’organes politiques proprement dits. La guerre, en mettant en cause ce qui existe, révèle les composantes fantasmées ou inventées de la vie politique.

Comme ce travail était conçu comme un préliminaire à la réflexion sur la guerre et comme condition de l’intelligibilité des guerres particulières et du politique en crise, il donne lieu à des prolongements possibles à la recherche. La démonstration quelque peu close sur elle-même peut néanmoins donner lieu à des approches complémentaires.

- La fluctuation des limites assignées à la guerre qui troublent la distinction ordinaire entre guerre et guerre civile invite à une réflexion qui combinerait la stratégie et le droit international d’une part (c'est-à-dire le volet pragmatique et le volet normatif) et la moralisation de la guerre d’autre part. On pourrait ainsi envisager un dépassement des apories qui grèvent les théories de la guerre juste et réviser les catégories belliqueuses. Cela me semble d’un intérêt particulièrement aigu en ce moment où l’on constate une réapparition de la notion de guerre juste simultanément à une complexification des guerres civiles en problèmes internationaux.

- Le travail sur l’identité de la cité en guerre qui passe par la mise à distance de l’ennemi et le problème de l’ennemi proche, familier, consanguin, et plus précisément l’idée selon laquelle le type de guerre est formé à partir de la figure de l’ennemi est une orientation possible d’analyse des conflits ; elle pourrait se concrétiser en l’occurrence par une analyse des discours. Les parallèles transhistoriques seraient à mon avis valables par exemple pour comparer la matière discursive des guerres de religion au XVIème siècle et celle des pratiques génocidaires comme ce que l’on a vécu au Rwanda. « Comment est désigné l’ennemi ? » est une clé pour répondre à la question : « quelle est l’identité de l’État en crise ? »

- Par ailleurs, la suspension méthodologique de l’interrogation sur le type de régime dans l’état de guerre est contestable, il faudrait éventuellement y remédier. L’inscription dans la tradition (hellénistique, jusnaturaliste, contractualiste) serait ainsi davantage présente. Le problème se pose avec plus d’acuité encore pour les régimes démocratiques qui apparaissent comme les régimes les moins aptes à soutenir la guerre (et à maintenir l’identité politique) mais aussi ceux qui y sont le plus exposés à l’intérieur (j’y ai fait allusion avec le problème du terrorisme). Le paradoxe du conflit moteur et destructeur y apparaît plus nettement, comme si la démocratie était un régime contraint de se nourrir d’échecs. Il serait bon en ce sens de reprendre et d’étudier, dans une perspective qui appartiendrait plutôt au XXème siècle, le rapport entre les dynamiques belliqueuses de libération et d’indépendance et l’idée démocratique (objectif, réalité, slogan).

- Enfin, la piste ouverte par Machiavel et Foucault n’est pas refermée ; elle aurait pu constituer une quatrième partie à cette recherche : à mon sens le contraire de la guerre n’est pas la paix mais l’hospitalité, il n’en reste pas moins que le phénomène belliqueux et les fictions mises en place par la cité pour se sauver sont peut-être à l’œuvre dans la cité dite pacifique. Il importerait donc de s’interroger sur l’éventuelle essence belliqueuse de toute organisation politique.