Groupe de travail sur la question théologico-politique et la tolérance


Contribution à l'hypothèse
selon laquelle la Réforme calvinienne serait porteuse d'une réforme juridique

Isabelle Bouvignies.

3 mai 1997

 

Résumé de l'intervention


François Hotman (1527-1590), juriste huguenot, connu pour avoir été l'auteur de la célèbre Francogallia parue en 1573 au lendemain de la saint Barthélémy, est également l'auteur d'un ouvrage moins connu : l'Antitribonien, rédigé quelques temps auparavant et paru tardivement, en 1610. Après une critique radicale du droit de Justinien, l'Antitribonien s'achève sur un projet de réforme du Corpus juris civilis tel qu'il est enseigné alors, et tel que l'auteur lui-même l'enseignait, dans les universités (notamment Bourges) où Calvin reçut lui-même sa formation juridique. Un commentaire littéral de cet ouvrage, rédigé sous les auspices de Michel de l'Hospital, révèle, de la part de son auteur, un projet bien différent de celui programmatique, formulé par Jean Bodin, d'un droit universel.

Après avoir dénoncé l'inutilité de la presque totalité du droit de Justinien qui "engendre plaideurs et chicaneurs", Hotman définit les conditions d'une réforme visant la constitution d'un droit français original et rationalisé. Selon ses propres termes, il propose d'"extraire et recueillir les lois de Moïse, non pas celles qui concernent l'Etat, forme et police de la République judaïque", abolie par la venue du Christ, mais celles qui sont fondées sur la droite raison et la justice naturelle. C'est un "droit de nature" destiné à "tous les hommes du monde tant ceux qui furent devans le tems de Moyse, que ceus qui sont venus apres & viendront encores apres nous" qui aurait ainsi vocation à remplacer ce que "les Payens anciens ont appellé le droit des gens et des peuples". Cette perspective sur le droit naturel a définitivement éloigné Hotman de Bodin ainsi que des juristes "systématiques", courant auquel nous rattachons la Juris universi distributio. En effet, loin de participer à une volonté de rationaliser le droit ou de le codifier, l'aspiration de Jean Bodin et de quelques autres avec lui (Doneau, Duaren) à définir un art du droit, bien qu'universelle, relève d'une conception encore traditionnelle de la raison. Elle relève en fait de la systématique juridique cicéronienne qui avait consisté, dés le 1er siècle de notre ère, à reprendre les idées platonicienne et aristotélicienne d'une méthode (ars) pour les appliquer au droit.

Il nous a paru évident que le projet de rédiger un système du droit civil selon les règles d'une technè aristotélicienne divergeait totalement du "bon discours de raison" destiné dans les termes de Hotman à "establir des lois propres & convenables à toutes les nations du monde" et à simplifier à des fins pratiques le "fatras de Justinien", intention reprise littéralement deux siècles plus tard par Rousseau (Cf. Considérations sur le gouvernement de Pologne, dans OEuvres complètes, Pléiade, vol. III, p. 1000-1001).

Ce qui nous a paru décisif et fondamental dans l'entreprise d'inspiration calvinienne du juriste huguenot est l'approche nouvelle du droit qu'elle propose, déjà présente chez Calvin. Pour Hotman comme pour Calvin, l'activité du juriste est devenue un métier comparable à toute autre occupation profane, celle de l'architecte ou du cordonnier, etc. : preuve tangible d'une autonomisation de la sphère juridique qui s'est effectuée dans le cadre théologique de la pensée calvinienne.