Groupe de travail sur la question théologico-politique et la tolérance


Spinoza : liberté de conscience et tolérance

Jacqueline Lagrée (Université de Rennes),
Alain Billecoq (IPR de Philosophie)
et Christian Lazzeri (Université de Besançon) [président de séance]
.

31 janvier 1998

 

Résumé de l'intervention

Il est convenu de considérer Spinoza comme un promoteur de la tolérance à l'âge classique. Et de renvoyer au célèbre chapitre XX du Traité théologico-politique, texte du philosophe parmi les plus lus. Les choses sont-elles si simples ? Jacqueline Lagrée et Alain Billecoq ont montré qu'il n'en est rien, qu'au contraire l'affaire est plutôt complexe. En partant de l'article de Filippo Mignini ("Spinoza : oltre l'idea di tolleranza ?", dans La tolleranza religiosa, Vita e Pensiero, Milano, 1991) qui constate la quasi-absence du vocable chez notre auteur et qui analyse les raisons pour lesquelles Spinoza ne saurait s'inscrire dans la tradition de la tolérance religieuse inaugurée un siècle avant lui, Jacqueline Lagrée a mis en évidence que l'impossibilité de la tolérance sur le plan théorique est compensée par la promotion d'une tolérance pratique dans les champs politiques et religieux. Témoignage de force et de surabondance, cette tolérance est fondée sur des caractéristiques anthropologiques et sur le statut de l'imagination, premier genre de connaissance et élément premier et dernier des ignorants. A cet égard, Spinoza semble occuper une position symétrique à celle d'Erasme. De son côté Alain Billecoq a analysé la place singulière qu'occupe Spinoza parmi les penseurs de la tolérance que sont S. Castellion, J. Locke et P. Bayle. Cette singularité de Spinoza est inscrite dans les mouvements des livres 4 et 5 de L'Ethique. Le travail de la raison dans la Cité conduit davantage aux perspectives de la générosité qu'à celles de la tolérance. Celle-ci, présente sous la forme d'idée, ne serait pas conceptuellement élaborée dans la pensée de Spinoza.

La discussion, présidée par Christian Lazzeri, a permis de cerner au plus près le lieu, la justification et la destination de la tolérance dans la pensée et l'oeuvre de Spinoza : la tolérance à l'égard des autres doit être le fait de l'ignorant, dont les productions religieuses sont maintenues dans de justes bornes par la puissance du pouvoir civil. La question du statut de la religion et des différentes formes de cette dernière (religion intérieure/religion extérieure; religion du sage/religion de l'ignorant) dans la pensée de Spinoza a ensuite été au centre des débats. En particulier on s'est interrogé sur les notions de justice et de charité. A quoi Spinoza pense-t-il précisément quand il parle de charité ? La justice prime-t-elle sur la charité ? La charité est-elle une conduite par défaut (à savoir dans l'absence d'Etat digne de ce nom) ou a-t-elle une positivité ? On s'est également penché sur les conditions d'émergence des formations religieuses et sur le rapport qu'elles entretiennent avec la présence ou l'absence d'un état politique structuré. Au bout du compte la richesse du débat initié par les intervenants souligne, s'il en est encore besoin, l'actualité de la pensée de Spinoza.