Groupe de travail sur la question théologico-politique et la tolérance
John Locke et la tolérance
Jean-Michel Vienne (Université de Nantes).
7 mars 1998
La Lettre sur la tolérance
est connue comme un des grands textes où se trouve affirmée
la distinction entre l'Etat et les Eglises, la société
civile et la société religieuse. Cette distinction radicale
et cette autonomisation des sphères publiques et privées
a offert à la critique un champ désormais bien arpenté.
En revanche il est plus rare de s'attarder sur les sources épistémologiques
de la défense lockienne de la tolérance et d'analyser
les difficultés auxquelles elle est exposée de ce côté
sans qu'on s'en rende bien compte. Nous nous sommes aventurés
grâce à Jean-Michel Vienne sur ce chemin éloigné
des sentiers battus, et l'escapade fut féconde.
C'est l'attention portée sur la volonté et la liberté dans l'assentiment qui met en relief les fausses évidences de la tolérance. D'un côté, en effet, Locke est manifestement influencé par les systèmes de Spinoza et de Malebranche. Avec eux il refuse les thèses de l'autonomie et de l'infinité de la volonté. Cette dernière exerce une fonction d'exécution de l'action, elle est en quelque sorte la dernière partie de l'auto-développement de l'idée. Nous ne sommes donc pas maîtres de notre assentiment : "il n'y a personne, dit Locke, qui puisse, quand il le voudrait, régler sa foi sur les préceptes d'un autre". Aussi la tolérance coule-t-elle de source : parce qu'il n'est pas libre psychologiquement, l'homme doit être libre politiquement. On voit le lien de cette position avec celle de Spinoza dans le TTP. Cependant le même Locke recule devant les conséquences de cette position théorique et pratique, et Jean-Michel Vienne nous le montre s'efforçant de sauver la liberté et l'indépendance de la volonté à travers la fonction médiatrice de la déduction et le devoir moral de suspens et d'examen par lequel l'assentiment reçoit comme sa règle. Nous ne pouvons nous empêcher de voir lorsque nos yeux sont ouverts, toutefois nous choisissons les objets de notre perception. De même selon Locke la connaissance est à la fois nécessaire et volontaire. Mais c'est la théorie lockienne de la tolérance qui est alors entièrement déséquilibrée, car si je peux suspendre mon assentiment et instaurer une distance entre une pensée et l'effet qu'elle produit, pourquoi ne pas me forcer à l'examen ? Inversement pourquoi le souverain a-t-il le droit de m'imposer la croyance en Dieu ? Une incertitude vient donc frapper l'argument central du philosophe anglais en faveur de la tolérance, et cela ne peut finalement que nous réjouir dans la mesure où nous sommes ainsi contraints à une nouvelle évaluation des fondements de cette idée aujourd'hui aveuglément reçue.