Groupe de travail sur la question théologico-politique et la tolérance
Calvin. Aux origines
de la tolérance moderne :
prolégomènes à une lecture
Ghislain Waterlot.
10 janvier 1997
Cette recherche repose sur une étude du quatrième livre
de l'Institution de la religion chrétienne
de Jean Calvin (éd. de 1560), à savoir l'ecclésiologie
calvinienne. L'idée directrice est la suivante : la critique
radicale de l'Eglise catholique romaine et l'élévation
de l'Ecriture au rang de source fondamentale et unique de la religion
véritable ont pour conséquence la réunion des conditions
de possibilité de la tolérance au sens moderne. Malgré
lui, Calvin produirait une doctrine qui prépare le terrain aux
revendications dites libérales. Ce n'est pas toujours pour les
raisons qu'on croit (on pense ici à Bossuet et à sa dénonciation
des variations).
A] L'Ecriture fonde
la religion. Tout repose sur elle. Sans elle, l'homme n'est qu'une fumée,
un néant; selon l'expression de Calvin, "rien ne lui profite".
B] L'Eglise romaine est entièrement vicieuse. Elle sape
la religion par sa doctrine et ses principes. Elle trahit l'Ecriture.
Elle doit être entièrement récusée, depuis
sa théologie jusqu'à son organisation interne.
C] Cette critique radicale de l'Eglise comporte un certain nombre
de conséquences, impensées par Calvin, qui contribueront
au surgissement de la tolérance moderne.
1 - L'organisation interne de l'Eglise selon la structure du rayonnement solaire (et non plus selon le modèle pyramidal) est une condition de possibilité de la tolérance en matière théologique. Cette tolérance prend chez Calvin la forme de la distinction entre les points fondamentaux et les points secondaires.
2 - La volonté de limiter les pouvoirs les uns par les autres au sein de l'Eglise a pour effet une promotion indirecte de la tolérance : des expressions divergentes et différemment situées auront droit de cité. A cet égard, la rupture avec le monopole des clercs est décisive.
3 - L'extrême valorisation de l'Ecriture, spécialement chez Calvin, prépare de loin la lecture critique. Certes le réformateur de Genève prend toutes sortes de précautions pour se garantir d'une telle lecture. Mais à terme les conséquences induites par le principe de la sola scriptura auront raison de tous les efforts de clôture. Les catholiques étaient préservés de la lecture critique grâce au dogme de la tradition et au monopole exégétique. Les réformés ne pourront pas empêcher l'appropriation des Ecritures par les lecteurs critiques : il suffit de reconnaître au départ le caractère révélé de l'Ecriture pour que la démarche soit légitime.
4 - La renonciation à l'idée de tradition force Calvin à rechercher un nouveau principe d'authentification de la Parole. A quoi reconnaît-on en effet que l'Ecriture est bien la Parole de Dieu et non pas une invention humaine ou une oeuvre du prince des ténèbres ? A quoi sait-on que la Bible est véritable et le Coran mensonger ? Au témoignage intérieur du Saint Esprit. Le recours à un tel témoignage est redoutable dans la mesure où le critère n'est plus seulement objectif mais partiellement subjectif. Avec l'Eglise catholique, aucun débat n'est possible. Le système est par là même protégé. La Réforme ouvre une ère de discussions indéfinies et prépare donc l'appel à la tolérance.
5 - La critique de l'Eglise romaine comportait implicitement une critique de la politique catholique et en particulier de sa pensée des relations entre l'Eglise et les rois (ou l'empereur), entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel. Tout le Moyen âge est traversé par la "querelle des investitures" et par une lutte pour le pouvoir conçu comme à la fois spirituel et temporel. La Réforme va penser une véritable distinction du spirituel et du temporel, distinction présentée dans l'Institution chrétienne, in fine. Il va de soi que pour passer de la distinction calvinienne à la laïcité moderne, il faudra un saut qualitatif. Pourtant les pages que Calvin consacre à la politique semblent pouvoir être considérées comme un tournant décisif et elles sont indirectement associées à la promotion de la tolérance.