Agrégation : Cours et documents


Documents sur Machiavel


Jean-Claude Zancarini
(ENS Fontenay/Saint-Cloud
CERPPI)

République et principat à Florence
pendant les guerres d'Italie

(suite et fin)





II. Le pari républicain de Machiavel


Lorenzo di Piero de' Medici, duc d'Urbin meurt à vingt-sept ans le 4 mai 1519 ; il dirigeait en fait la cité depuis 1512. C'est le cardinal Giulio de' Medici (le futur Clément VII) qui prend alors en charge les affaires de la cité. C'est à sa demande que Machiavel écrit, entre décembre 1520 et janvier 1521, le Discursus florentinarum rerum post mortem iunioris Laurentii Medices, qu'il adresse au pape Léon X. Ce bref texte présente l'argumentation suivante : les gouvernements ont souvent varié à Florence car jamais aucun, qu'il tende vers le principat ou vers la république, n'a eu les debite qualità (les qualités requises) (30) ; l'expérience passée des Florentins, qui aiment la république et parmi lesquels règne l'equalità, rend très difficile l'instauration d'un principat : "a volere creare uno principato a Firenze dove è una grande equalità, sarebbe necessario ordinarvi prima la inequalità e farvi assai nobili di castella e ville, i quali insieme con il principe tenessino con l'armi e con l'aderentia loro suffocata la ciptà e tucta la provincia (31)" ; par conséquent, il faut penser à établir une république : "io lascerò il ragionare più del principato e parlerò della republica ; sì perché Firenze è subiecto aptissimo a pigliare questa forma, sì perché s'intende la Stà V. esserci dispostissima (32)" ; cette république devra "donner une place" (dare luogho) aux trois sortes de citoyens que l'on trouve dans toutes les cités - cioè primi, mezzani e ultimi - : les premiers, les moyens et les derniers (33). Il faut donc une Signoria nuova et un conseil de 200 citoyens (dans ces instances les Médicis, pour leur sécurité, feraient siéger leurs amis et partisans), mais il faut également, pour satisfaire l'universale de' cittadini, rouvrir la Salle et rétablir le Grand Conseil : "giudico che sia necessario di riaprire la sala del consiglio de' Mille o almeno di 600, i quali distribuissino, nel modo che già distribuivono, tucti gli uffici e magistrati" (34).

Le Discursus n'est pas seulement un texte de circonstance : on y trouve une posture fondamentale de Machiavel, (posture au fond morale, spirituelle) qui permet de résoudre une contradiction qui apparaît entre les chapitres XVIII et LV du Ier livre des Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio. Dans I, XVIII, Machiavel se demande de quelle façon, dans les cités corrompues, on peut maintenir un stato libero -- un régime républicain -- ou le mettre en place - ordinarvelo (35). Pour rénover d'un coup les "ordres" d'une cité, il faut "en venir à l'extraordinaire" (venire allo straordinario), c'est-à-dire utiliser la violence et les armes car on ne peut utiliser les moyens ordinaires (termini ordinari) puisqu'ils sont mauvais ; il faut donc "avant tout devenir prince de cette cité et pouvoir en disposer à sa façon (36)". On sait que ce passage des Discorsi est fondamental puisqu'on y discerne le lien théorique avec le Prince (37) et l'interrogation qui fonde la démarche machiavélienne : "Comment mettre fin à la spirale sans fin de la corruption, comment permettre la redenzione d'Italia ?" Dans ce chapitre des Discorsi, la réponse est nette : la nécessité de l'emploi de moyens extraordinaires entraîne "la difficulté voire l'impossibilité qu'il y a dans les cités corrompues à maintenir une république ou à la créer nouvellement (38)" ; d'ailleurs, ajoute-t-il, même si cela se réalisait, le gouvernement ainsi mis en place ne pourrait fonctionner qu'en assumant "un pouvoir presque royal".

Dans le chapitre LV, l'analyse est différente. Certaines régions, certaines cités -- c'est le cas de la Toscane et de Florence -- sont faites pour être des républiques, "parce qu'il y a là une grande égalité" (per esservi tanta equalità) ; dans les cités de cette sorte, un homme sage (prudente) pourrait aisément introduire un vivere civile, une forme républicaine de gouvernement. La distorsion est évidente entre les analyses des deux chapitres : dans le Discursus la réponse à la contradiction consiste en la proposition pour le moins étonnante de proposer aux Médicis de rétablir la république du Grand Conseil ! C'est qu'il faut une composante volontariste (au sens positif d'une tension de la volonté) pour surmonter cette difficulté ; ce volontarisme prend souvent chez Machiavel la forme du pari. Dans le chapitre XXV du Prince, la métaphore de la fortune qui est femme exprime cette logique du pari : Machiavel vient de démontrer qu'on ne peut trouver un homme assez sage pour savoir s'adapter à la continuelle mutation de la fortune mais il en déduit, par un pari de la volonté, qu'il faut quand même tenter, qu'il faut "pour soumettre la fortune, la heurter et la battre". C'est la même logique qui est à l'oeuvre dans le Discursus et qui s'exprime dans l'hypothèse d'un renouvellement radical de la cité par un prince avisé qui accepterait de tenir compte de l'histoire d'une cité attachée à l'idée de république (39) et qui en recevrait sa récompense : en renonçant pour lui et les siens au pouvoir absolu, en satisfaisant l'universale de' cittadini par la réouverture de la salle du Grand Conseil, il obtiendrait "le plus grand honneur qu'un homme puisse avoir".


III. Francesco Guicciardini: questionnement critique et gouvernement tempéré


Francesco Guicciardini commence à écrire le Dialogo del reggimento di Firenze en 1521, pendant une pause de la guerre de Lombardie à laquelle il participe en tant que commissaire général du pape Léon X ; il termine ce texte en 1525. Dans chacune des trois versions connues du proemio du Dialogo, Guicciardini précise que, même s'il écrit à un moment où les Médicis ont le pouvoir à Florence, les circonstances historiques peuvent rendre actuelles ses analyses et ses propositions. Le texte a la forme d'une discussion qui se déroule durant les tous premiers mois de la république entre quatre citoyens de Florence : la date choisie pour situer le dialogue montre bien que la mise en place du Grand Conseil est un événement fondateur dont aucune réflexion politique ne peut faire abstraction.

Dans le Dialogo del reggimento, partant de l'analyse de la conjoncture, de la condizione de' tempi, et des "humeurs" de la cité, et affirmant qu'il refuse de se laisser abuser par les mots, par la "douceur du nom" de liberté (40), Guicciardini soumet la libertà fiorentina à une analyse critique qui l'amène à la définir en termes d'enjeu, à mettre en cause sa valeur absolue ; ce texte constitue, de ce point de vue, une avancée théorique eu égard à ses écrits antérieurs. Dix ans auparavant, dans le Discorso di Logrogno, il reprenait à son compte les formulations de la tradition républicaine florentine : il y affirmait que, dans la cité, el vivere con libertà e a populo est quelque chose de "naturel" et la définition qu'il y donnait de la libertà est un décalque des formulations antérieures de Salutati ou de Bruni ("la liberté - écrivait-il - n'est rien d'autre que la prédominance de la loi et des ordres publics sur l'appétit des particuliers (41)"). Dans le Dialogo, ces évidences "naturelles" sont soumises au questionnement critique de Bernardo del Nero, personnage qui est en fait le porte-parole de Francesco Guicciardini : "Ce nom sert bien souvent de prétexte et d'excuse (42)." Qu'y a-t-il sous la "douceur" du nom de liberté? Bernardo del Nero met en garde ses interlocuteurs contre deux inspirations contradictoires, mais toutes deux dangereuses : celle des grandi et celle de l'universale. Les premiers, sous prétexte de liberté, "cherchent toujours à accroître leur puissance et à se faire supérieurs et singuliers, autant qu'ils le peuvent (43)." Le second partage à sa façon -- celle de la multitude -- cette même ambition : "Lorsqu'ils atteignent l'égalité ils ne s'en tiennent pas là mais commencent à chercher, ou du moins à désirer la grandeur et à vouloir dépasser les autres (44)." Il n'y a donc aucune raison, dès lors, pour s'en tenir à la thèse selon laquelle la liberté -- au sens de gouvernement de tous les citoyens -- est naturelle à Florence ; lorsque Bernardo del Nero déclare : "Le désir d'un gouvernement libre n'est ni aussi naturel ni aussi universel (45)", il remet en question une des affirmations les plus fréquentes de la tradition républicaine. Au moment où il détruit en fait l'idée de la valeur absolue de l'aspiration à la liberté, Bernardo del Nero explicite la méthode de pensée qu'il applique : il s'agit de ne pas se laisser tromper par "les noms" mais de considérer "les choses" (46). Mais il précise clairement que cette volonté de considérer en face la "nature des choses" ne signifie pas pour autant être un ennemi de la liberté et des formes républicaines de gouvernement.

L'attachement à la nature des choses "telles qu'elles sont vraiment" implique de poursuivre jusqu'au bout le questionnement critique qui porte sur l'idée de bon gouvernement. La tradition républicaine l'avait résolu en affirmant que, si dans l'absolu, le meilleur gouvernement était celui d'un seul, ici, à Florence, la liberté était naturelle ; Guicciardini, en réfutant l'évidence "naturelle" se débarrasse également de l'idée même de bon gouvernement "par nature", pour ne considérer que les "effets" qu'il produit (47). Dès lors, il ne peut suffire d'avoir la bouche le doux nom de liberté, mais il s'agit de lui donner forme en tenant compte de la conjoncture - il faut à la fois "donner de quoi se repaître" à l'universale et avoir en tête qu'en fin de compte "le poids du gouvernement" ne saurait reposer que "sur les épaules de bien peu de gens (48)" - et des effets que cette forme de la libertà produira.

Le résultat, c'est la proposition d'un "gouvernement tempéré", largement inspiré du gouvernement vénitien (car le gouvernement de Venise est "el più bello e el migliore governo [...], perché partecipa di tutte le spezie di governo, di uno di pochi e di molti (49)", où trois instances coexistent : le Grand Conseil, un "conseil du milieu" ou "sénat", un gonfalonier à vie (50). Le "gouvernement tempéré" proposé par Bernardo del Nero tend à distinguer une instance de la souveraineté -- le Grand Conseil, qui préserve la liberté et doit éviter qu'un seul citoyen (ou un petit groupe de citoyens) ne soit tenté de se croire supérieur aux lois -- et un gouvernement effectif qui prend les mesures au jour le jour, prépare les projets de loi, mène la politique étrangère, avec la promptitude et le secret nécessaires : là, ne doivent se trouver que ceux qui sont aptes à gouverner. Il y a là une sorte de réformisme pragmatique, caractéristique de l'approche de Guicciardini.

Ce gouvernement tempéré doit permettre à chaque citoyen de vivre "sous les lois", selon la justice, à parité avec tous les autres et seuls doivent prendre une part active au gouvernement de la cité ceux qui sont aptes à le faire (51). On peut voir là une filiation avec la grande tradition de la pensée oligarchique pour laquelle le gouvernement florentin a pour seule fonction d'éviter que la libido unius an alterius (Leonardo Bruni, Laudatio...) puisse l'emporter sur les lois, mais en aucun cas que le pouvoir soit partagé au-delà du groupe des oligarques. Il faut cependant définir exactement ce que pense Guicciardini sur ce point. D'une part "celui qui est capable [de gouverner] et le mérite" ne se définit pas uniquement, dans la conception de Guicciardini, par sa naissance et son appartenance sociale, mais aussi par son mérite. La capacité acquise par l'expérience joue un grand rôle dans l'accession aux charges et aux responsabilités ; le maître mot de Francesco Guicciardini, en ce domaine, c'est celui de discrezione, le discernement, la capacité à tenir compte de la situation concrète, du particolare ; cette capacité-là ne saurait venir de la seule naissance ou être apprise dans les livres : seule l'expérience menée par quelqu'un à qui la fortuna a donné une sorte d'intuition innée peut permettre d'y accéder.

Par ailleurs, les gens capables de gouverner sont toujours, dans l'esprit de Francesco Guicciardini, désignés par le Grand Conseil qui reste le "fondement de la liberté" et le "prince de la cité" : on retrouve la différenciation entre instance de la souveraineté -- qui est le fondement même du régime républicain, sa possibilité d'existence -- et formes concrètes du gouvernement.

Cette aspiration à un gouvernement tempéré s'appuyant sur le Grand Conseil va de pair avec l'idée d'un ajustement progressif, d'une amélioration au jour le jour. Les mots limare et correggere reviennent fréquemment dans la bouche des protagonistes du Dialogo ; Bernardo del Nero donne ainsi à ses interlocuteurs la mission suivante : "andare cercando destramente e co' modi civili di correggere e di limare, se qualche occasione lo consentirà, i disordini del governo (52)".


IV. Penser l'échec : la morale de l'histoire


Pour que le gouvernement tempéré de Guicciardini ait pu s'améliorer au jour le jour -- ou bien, tout autant, pour qu'ait pu réussir le pari républicain de Machiavel -- il eût fallu que la fortuna de la cité fût favorable aux républicains. On sait qu'il n'en fut rien.

Dans les dernières pages de son Discursus, Machiavel n'hésite pas à faire un pronostico : "Mais pour en revenir aux dangers auxquels on s'expose en demeurant ainsi, je vais faire un pronostic : que survienne un incident et que la cité ne soit pas réordonnée d'une autre façon, il adviendra l'une ou l'autre des choses suivantes, ou les deux à la fois. Ou bien apparaîtra un chef issu tout à coup du tumulte (tumultuario e subitaneo), pour défendre l'état par les armes et la violence ; ou bien un parti courra ouvrir la salle du Conseil et donnera l'autre parti en proie."

L'une et l'autre hypothèses se réalisèrent de fait : en mai 1527, après le sac de Rome, les républicains prennent le pouvoir et rétablissent le Grand Conseil ; en août 1530, après huit mois de siège, les troupes impériales et pontificales ramènent les Médicis "par les armes et la violence" : le Grand Conseil est définitivement supprimé ; en 1532, c'est le symbole même de la tradition républicaine - la Signoria - qui disparaît. Après un ultime épisode guerrier contre les exilés républicains le 1er août 1537 à Montemurlo, Cosme Ier (choisi au début de la même année comme duca de Florence), établit, pour plus de deux cents ans, une forme de gouvernement absolutiste et héréditaire.

En décembre 1535, après la mort de Clément VII, les exilés républicains présentent une requête devant Charles Quint : ils rappellent en effet que lors de la reddition de Florence en août 1530, une des clauses de l'accord précisait que les vainqueurs s'engageaient à ce que soit "préservée la liberté" de la cité (che sia conservata la libertà) ; ils demandent donc à Charles Quint que soit rétabli à Florence una forma di governo libero. La réponse présentée par les avocats du duca Alexandre de Médicis, consiste à redéfinir le sens même du concept de libertà : "le vrai sens de cette clause c'est qu'il fut donné à sa Majesté la libre faculté d'établir un gouvernement populaire ou celui des Médicis ou n'importe quel autre, à condition qu'il ne puisse [...] mettre la cité, qui a toujours été libre sous domination étrangère, la priver de ses privilèges, prééminences et antiques libertés." La libertà fiorentina n'est donc plus, dès lors, le concept ambivalent qui désigne à la fois l'indépendance de la cité et la forme républicaine du gouvernement : elle ne renvoie plus qu'à une indépendance, ô combien limitée, dans une Italie sous domination espagnole. Par une ironie amère de l'Histoire, ce tour de passe-passe théorique fut rédigé par Guicciardini, en sa qualité d'avocat du duca Alexandre : ce fut à lui de redéfinir -- après l'échec terrible de la tentative d'empêcher la prédominance espagnole -- ce que pouvait être alors la libertà fiorentina : rien de plus qu'un semblant d'indépendance sous surveillance impériale.

L'échec des républicains florentins peut être lu dans l'évolution d'un ricordo de Francesco Guicciardini : en 1512, alors qu'il n'avait pas encore 30 ans et qu'il était ambassadeur en Espagne, il avait résumé de la sorte ses aspirations politiques : "il est trois choses que je désire voir avant ma mort : une république bien ordonnée dans notre cité, l'Italie libérée de tous les barbares et le monde libéré de la tyrannie de ces scélérats de prêtres." En 1528, il ajoute cette réflexion désabusée : "mais je doute, même si je vis longtemps, de voir jamais l'une d'elle". Dans la dernière rédaction, en 1530, le ricordo ne figure plus : la necessità -- la nécessité, la contrainte -- ne laisse plus aucune place à la speranza et à l'elezione : il n'y a plus de choix possible, encore moins d'espoir de réussite.

Dans les lignes finales de ses Commentari dei fatti civili occorsi dentro la città di Firenze dall'anno 1215 al 1537, Francesco de' Nerli (qui écrit dans les années 1540) semble tirer les ultimes conséquences de cette situation : maintenant qu'est advenu le principat de Cosme Ier, il n'est plus nécessaire de faire l'histoire des fatti civili. Francesco Guicciardini, pour sa part, ne partage pas ce point de vue d'une "fin de l'histoire" heureusement advenue : il consacre les cinq dernières années de sa vie, 1531-1540, au travail harassant de rédaction de la Storia d'Italia et inclut l'histoire de l'échec de la république bien ordonnée qu'il appelait de ses voeux pour Florence dans l'histoire globale de la période historique qui commence, en 1494, avec l'arrivée de Charles VIII. Dans une lettre du 7 août 1525, adressée à Machiavel, il décrivait leur situation dans ces termes : "je crois que nous avançons dans le noir, avec les mains liées derrière le dos, de sorte que nous ne puissions éviter les coups". Son ultime décision politique -- exprimée par l'incipit de l'Histoire d'Italie : "J'ai décidé quant à moi d'écrire les choses advenues de notre temps en Italie après que les armes des Français [...] eurent commencé [...] à la troubler." -- revient au fond, puisqu'on n'a pas pu schifare le percosse, à tenter de comprendre du moins d'où ils sont venus. Il y a là une posture éthique qui ressemble fort à celle qu'exprimait Machiavel dans le proemio du deuxième livre de ses Discorsi : "le bien que la malignité des temps et de la fortune t'ont empêché de réaliser, c'est le devoir d'un homme bon de l'enseigner aux autres, afin que parmi tous ceux qui ont appris quel il est, ceux qui seront favorisés par le ciel puissent le réaliser."

Cette leçon morale -- pas si paradoxale qu'il pourrait y paraître -- n'est sans doute pas le moindre legs des républicains florentins (53).


Notes

(30) La même analyse apparaît également dans Discours, I, 49 : "Senza avere mai avuto stato per il quale la possa veramente essere chiamato republica..." et dans les Histoires florentines, III, 11.

(31) "Si l'on voulait fonder un principat à Florence, où il y a une très grande égalité, il serait d'abord nécessaire d'y introduire l'inégalité et de créer un grand nombre de nobles vivant dans les châteaux et les villages qui, en accord avec le prince, étoufferaient avec leurs armes et leurs partisans la cité et toute la province."

(32) "Je cesserai donc de raisonner sur le principat et je parlerai de la république parce que Florence est un sujet tout à fait apte à prendre cette forme et aussi parce que Sa Sainteté s'y montre tout à fait disposée".

(33) "Coloro che ordinano una republica debbeno dare luogho ad tre diverse qualità di uomini, che sono in tucte le ciptà : cioè primi, mezzani e ultimi".

(34) "J'estime qu'il est nécessaire de rouvrir la salle du Conseil des Mille ou au moins de 600, qui distribueraient, comme ils les distribuaient autrefois, tous les offices et toutes les magistratures" ; Machiavel s'il est prêt à "en rabattre" sur le nombre des participants au Conseil (sur ce point voir également la Minuta di provvisione), tient bon sur l'exercice de la souveraineté : le Grand Conseil distribue les offices.

(35) On aura reconnu le titre du chapitre : "In che modo nelle città corrotte si potesse mantenere uno stato libero essendovi ; o non vi essendo, ordinarvelo" ; ordinare c'est mettre en place mais aussi introduire les "ordres" - ordini - nécessaires.

(36) "Quanto all'innovare questi ordini a un tratto, quando ciascuno conosce che non sono buoni, dico che questa inutilità che facilmente si conosce è difficile a ricorreggerla ; perché a fare questo non basta usare termini ordinari essendo modi ordinari cattivi ; ma è necessario venire allo straordinario, come è alla violenza ed all'armi, e diventari innanzi tutto principe di quella città e poterne disporre a suo modo".

(37) Nous ne rentrons pas ici dans le débat sur les dates de compositions respectives du Prince et des Discours. Nous voulons simplement insister sur la nécessité absolue de lire ensemble les deux textes, comme un tout, en acceptant l'idée que le noyau de l'interrogation machiavellienne est présent dans ce chapitre XVIII et peut se dire en ces termes : "Comment Florence et l'Italie peuvent-elles rompre avec la spirale sans fin de la corruption?"

(38) "Da tutte le soprascritte cose nasce la difficultà o impossibilità, che è nelle città corrotte, a mantenervi una republica o a crearvela di nuovo. E quando pure la vi si avesse a creare o a mantenere, sarebbe necessario ridurla più verso lo stato regio che verso lo stato popolare, acciocchè quegli uomini i quali dalle leggi per la loro insolenzia non possono essere corretti, fussero da una podestà quasi regia in qualche modo frenati".

(39) "Un uomo prudente che delle antiche civiltà avesse cognizione", écrit-il (Discorsi, I, LV) ; on pourrait traduire civiltà par "les usages / les histoires des cités".

(40) Dialogo..., op. cit., p. 336 : "gli uomini si lasciono spesso ingannare tanto da' nomi che non cognosco le cose" ; p. 400 : "tiranno tanto più pestifero che quegli che fanno professione della tirannide, quanto gli uomini, per la dolcezza del suo nome e per il titolo che ha di libertà, che non vuole dire altro che giustizia e equalità, si lasciono più facilmente ingannare da lui."

(41) Discorso..., op. cit., p. 285 : "essendo naturale nella città nostra el vivere con libertà e a populo" ; p. 225 : "Ne è altro la libertà che uno prevalere le legge e ordini publici allo appetito delli uomini particolari..." On peut comparer à la formulation de Leonardo Bruni : "Hoc modo et libertas viget et iustitia sanctissime in civitate servatur, cum nihil ex unius an alterius libidine contra tot hominum sententiam possit constitui" (Laudatio Florentinae Urbis, in Hans Baron, op. cit., p. 260).

(42) Dialogo..., op. cit., p. 336.

(43) Ibid., p. 336.

(44) Ibid., p. 337.

(45) Ibid., p. 339.

(46) Voir supra n. 15.

(47) Dialogo..., op. cit., p. 312 : "Io non garderei tanto di che spezie siano questi governi, quanto io arei rispetto a porre mente dove si fa migliori effetti..."

(48) Ibid., p. 412. Cette image est déjà présente dans le Discorso di Logrogno, p. 277.

(49) "Le plus beau et le meilleur des gouvernements [...] car il participe de toutes les espèces de gouvernements, d'un seul, de peu, de beaucoup." On remarque que la référence aux "espèces" chassée par le primat accordé à l'expérience et aux faits, réapparaît subrepticement via Venise : tant il est difficile de penser le nouveau sans se raccrocher aux langages rassurants de la tradition!

(50) Tout le deuxième livre du Dialogo del reggimento di Firenze est consacré à la présentation d'un tel mouvement.

(51) Le ricordo CIX exprime avec efficacité cette idée : "Non è el frutto delle libertà, ne el fine al quale le furono trovate, che ognuno governi, perché non debbe governare se non chi è atto e lo merita, ma la osservanza delle buone legge e buoni ordini, le quali sono più sicure nel vivere libero che sotto la potestà di uno o pochi. E questo è lo inganno che fa tanto travagliare la città nostra, perché non basta agli uomini essere liberi e sicuri, ma non si fermano se ancora non governano."

(52) "Chercher habilement et selon les usages civils à corriger et à limer, si quelque occasion le permet, les désordres du gouvernement." Il faut souligner que Guicciardini garde le même point de vue dans sa Storia d'Italia, écrite dans les dernières années de sa vie : malgré les désillusions et, en définitive, l'échec de ses espoirs politiques, il estime toujours que le Grand Conseil aurait pu engendrer "un governo ben regolato e stabile" si on avait pris les mesures pour introduire les "ordini" adéquats (livre II, chap. II).

(53) Cet article est la version revue et augmentée d'une contribution à paraître, sous le titre "Le moment du Grand Conseil", dans les Mélanges offerts à Jacqueline Brunet, Besançon, Presses de l'Université de Besancon.






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