II.
Le pari républicain de Machiavel
Lorenzo di Piero de' Medici, duc d'Urbin meurt à
vingt-sept ans le 4 mai 1519 ; il dirigeait en fait la cité
depuis 1512. C'est le cardinal Giulio de' Medici (le futur
Clément VII) qui prend alors en charge les affaires
de la cité. C'est à sa demande que Machiavel
écrit, entre décembre 1520 et janvier 1521,
le Discursus florentinarum rerum post mortem iunioris
Laurentii Medices, qu'il adresse au pape Léon
X. Ce bref texte présente l'argumentation suivante
: les gouvernements ont souvent varié à Florence
car jamais aucun, qu'il tende vers le principat ou vers
la république, n'a eu les debite qualità
(les qualités requises) (30) ; l'expérience
passée des Florentins, qui aiment la république
et parmi lesquels règne l'equalità,
rend très difficile l'instauration d'un principat
: "a volere creare uno principato a Firenze dove è
una grande equalità, sarebbe necessario ordinarvi
prima la inequalità e farvi assai nobili di castella
e ville, i quali insieme con il principe tenessino con l'armi
e con l'aderentia loro suffocata la ciptà e tucta
la provincia (31)" ; par conséquent, il
faut penser à établir une république
: "io lascerò il ragionare più del principato
e parlerò della republica ; sì perché
Firenze è subiecto aptissimo a pigliare questa forma,
sì perché s'intende la Stà V. esserci
dispostissima (32)" ; cette république
devra "donner une place" (dare luogho) aux trois
sortes de citoyens que l'on trouve dans toutes les cités
- cioè primi, mezzani e ultimi - : les premiers,
les moyens et les derniers (33). Il faut donc une
Signoria nuova et un conseil de 200 citoyens (dans
ces instances les Médicis, pour leur sécurité,
feraient siéger leurs amis et partisans), mais il
faut également, pour satisfaire l'universale de'
cittadini, rouvrir la Salle et rétablir le Grand
Conseil : "giudico che sia necessario di riaprire la
sala del consiglio de' Mille o almeno di 600, i quali distribuissino,
nel modo che già distribuivono, tucti gli uffici
e magistrati" (34).
Le
Discursus n'est pas seulement un texte de circonstance
: on y trouve une posture fondamentale de Machiavel, (posture
au fond morale, spirituelle) qui permet de résoudre
une contradiction qui apparaît entre les chapitres
XVIII et LV du Ier livre des Discorsi sopra la prima
deca di Tito Livio. Dans I, XVIII, Machiavel se demande
de quelle façon, dans les cités corrompues,
on peut maintenir un stato libero -- un régime
républicain -- ou le mettre en place - ordinarvelo
(35). Pour rénover d'un coup les "ordres"
d'une cité, il faut "en venir à l'extraordinaire"
(venire allo straordinario), c'est-à-dire
utiliser la violence et les armes car on ne peut utiliser
les moyens ordinaires (termini ordinari) puisqu'ils
sont mauvais ; il faut donc "avant tout devenir prince de
cette cité et pouvoir en disposer à sa façon
(36)". On sait que ce passage des Discorsi
est fondamental puisqu'on y discerne le lien théorique
avec le Prince (37) et l'interrogation qui fonde
la démarche machiavélienne : "Comment mettre
fin à la spirale sans fin de la corruption, comment
permettre la redenzione d'Italia ?" Dans ce chapitre
des Discorsi, la réponse est nette : la nécessité
de l'emploi de moyens extraordinaires entraîne "la
difficulté voire l'impossibilité qu'il y a
dans les cités corrompues à maintenir une
république ou à la créer nouvellement
(38)" ; d'ailleurs, ajoute-t-il, même si cela
se réalisait, le gouvernement ainsi mis en place
ne pourrait fonctionner qu'en assumant "un pouvoir presque
royal".
Dans
le chapitre LV, l'analyse est différente. Certaines
régions, certaines cités -- c'est le cas de
la Toscane et de Florence -- sont faites pour être
des républiques, "parce qu'il y a là une grande
égalité" (per esservi tanta equalità)
; dans les cités de cette sorte, un homme sage (prudente)
pourrait aisément introduire un vivere civile,
une forme républicaine de gouvernement. La distorsion
est évidente entre les analyses des deux chapitres
: dans le Discursus la réponse à la
contradiction consiste en la proposition pour le moins étonnante
de proposer aux Médicis de rétablir la république
du Grand Conseil ! C'est qu'il faut une composante volontariste
(au sens positif d'une tension de la volonté) pour
surmonter cette difficulté ; ce volontarisme prend
souvent chez Machiavel la forme du pari. Dans le chapitre
XXV du Prince, la métaphore de la fortune
qui est femme exprime cette logique du pari : Machiavel
vient de démontrer qu'on ne peut trouver un homme
assez sage pour savoir s'adapter à la continuelle
mutation de la fortune mais il en déduit, par un
pari de la volonté, qu'il faut quand même tenter,
qu'il faut "pour soumettre la fortune, la heurter et la
battre". C'est la même logique qui est à l'oeuvre
dans le Discursus et qui s'exprime dans l'hypothèse
d'un renouvellement radical de la cité par un prince
avisé qui accepterait de tenir compte de l'histoire
d'une cité attachée à l'idée
de république (39) et qui en recevrait sa
récompense : en renonçant pour lui et les
siens au pouvoir absolu, en satisfaisant l'universale
de' cittadini par la réouverture de la salle
du Grand Conseil, il obtiendrait "le plus grand honneur
qu'un homme puisse avoir".
III.
Francesco Guicciardini: questionnement critique et gouvernement
tempéré
Francesco Guicciardini commence à écrire le
Dialogo del reggimento di Firenze en 1521, pendant
une pause de la guerre de Lombardie à laquelle il
participe en tant que commissaire général
du pape Léon X ; il termine ce texte en 1525. Dans
chacune des trois versions connues du proemio du
Dialogo, Guicciardini précise que, même
s'il écrit à un moment où les Médicis
ont le pouvoir à Florence, les circonstances historiques
peuvent rendre actuelles ses analyses et ses propositions.
Le texte a la forme d'une discussion qui se déroule
durant les tous premiers mois de la république entre
quatre citoyens de Florence : la date choisie pour situer
le dialogue montre bien que la mise en place du Grand Conseil
est un événement fondateur dont aucune réflexion
politique ne peut faire abstraction.
Dans
le Dialogo del reggimento, partant de l'analyse de
la conjoncture, de la condizione de' tempi, et des
"humeurs" de la cité, et affirmant qu'il refuse de
se laisser abuser par les mots, par la "douceur du nom"
de liberté (40), Guicciardini soumet la libertà
fiorentina à une analyse critique qui l'amène
à la définir en termes d'enjeu, à mettre
en cause sa valeur absolue ; ce texte constitue, de ce point
de vue, une avancée théorique eu égard
à ses écrits antérieurs. Dix ans auparavant,
dans le Discorso di Logrogno, il reprenait à
son compte les formulations de la tradition républicaine
florentine : il y affirmait que, dans la cité, el
vivere con libertà e a populo est quelque chose
de "naturel" et la définition qu'il y donnait de
la libertà est un décalque des formulations
antérieures de Salutati ou de Bruni ("la liberté
- écrivait-il - n'est rien d'autre que la prédominance
de la loi et des ordres publics sur l'appétit des
particuliers (41)"). Dans le Dialogo, ces
évidences "naturelles" sont soumises au questionnement
critique de Bernardo del Nero, personnage qui est en fait
le porte-parole de Francesco Guicciardini : "Ce nom sert
bien souvent de prétexte et d'excuse (42)."
Qu'y a-t-il sous la "douceur" du nom de liberté?
Bernardo del Nero met en garde ses interlocuteurs contre
deux inspirations contradictoires, mais toutes deux dangereuses
: celle des grandi et celle de l'universale.
Les premiers, sous prétexte de liberté, "cherchent
toujours à accroître leur puissance et à
se faire supérieurs et singuliers, autant qu'ils
le peuvent (43)." Le second partage à sa façon
-- celle de la multitude -- cette même ambition :
"Lorsqu'ils atteignent l'égalité ils ne s'en
tiennent pas là mais commencent à chercher,
ou du moins à désirer la grandeur et à
vouloir dépasser les autres (44)." Il n'y
a donc aucune raison, dès lors, pour s'en tenir à
la thèse selon laquelle la liberté -- au sens
de gouvernement de tous les citoyens -- est naturelle à
Florence ; lorsque Bernardo del Nero déclare : "Le
désir d'un gouvernement libre n'est ni aussi naturel
ni aussi universel (45)", il remet en question une
des affirmations les plus fréquentes de la tradition
républicaine. Au moment où il détruit
en fait l'idée de la valeur absolue de l'aspiration
à la liberté, Bernardo del Nero explicite
la méthode de pensée qu'il applique : il s'agit
de ne pas se laisser tromper par "les noms" mais de considérer
"les choses" (46). Mais il précise clairement
que cette volonté de considérer en face la
"nature des choses" ne signifie pas pour autant être
un ennemi de la liberté et des formes républicaines
de gouvernement.
L'attachement
à la nature des choses "telles qu'elles sont vraiment"
implique de poursuivre jusqu'au bout le questionnement critique
qui porte sur l'idée de bon gouvernement. La tradition
républicaine l'avait résolu en affirmant que,
si dans l'absolu, le meilleur gouvernement était
celui d'un seul, ici, à Florence, la liberté
était naturelle ; Guicciardini, en réfutant
l'évidence "naturelle" se débarrasse également
de l'idée même de bon gouvernement "par nature",
pour ne considérer que les "effets" qu'il produit
(47). Dès lors, il ne peut suffire d'avoir
la bouche le doux nom de liberté, mais il s'agit
de lui donner forme en tenant compte de la conjoncture -
il faut à la fois "donner de quoi se repaître"
à l'universale et avoir en tête qu'en
fin de compte "le poids du gouvernement" ne saurait reposer
que "sur les épaules de bien peu de gens (48)"
- et des effets que cette forme de la libertà
produira.
Le
résultat, c'est la proposition d'un "gouvernement
tempéré", largement inspiré du gouvernement
vénitien (car le gouvernement de Venise est "el
più bello e el migliore governo [...], perché
partecipa di tutte le spezie di governo, di uno di pochi
e di molti (49)", où trois instances coexistent
: le Grand Conseil, un "conseil du milieu" ou "sénat",
un gonfalonier à vie (50). Le "gouvernement
tempéré" proposé par Bernardo del Nero
tend à distinguer une instance de la souveraineté
-- le Grand Conseil, qui préserve la liberté
et doit éviter qu'un seul citoyen (ou un petit groupe
de citoyens) ne soit tenté de se croire supérieur
aux lois -- et un gouvernement effectif qui prend les mesures
au jour le jour, prépare les projets de loi, mène
la politique étrangère, avec la promptitude
et le secret nécessaires : là, ne doivent
se trouver que ceux qui sont aptes à gouverner. Il
y a là une sorte de réformisme pragmatique,
caractéristique de l'approche de Guicciardini.
Ce
gouvernement tempéré doit permettre à
chaque citoyen de vivre "sous les lois", selon la justice,
à parité avec tous les autres et seuls doivent
prendre une part active au gouvernement de la cité
ceux qui sont aptes à le faire (51). On peut
voir là une filiation avec la grande tradition de
la pensée oligarchique pour laquelle le gouvernement
florentin a pour seule fonction d'éviter que la libido
unius an alterius (Leonardo Bruni, Laudatio...)
puisse l'emporter sur les lois, mais en aucun cas que le
pouvoir soit partagé au-delà du groupe des
oligarques. Il faut cependant définir exactement
ce que pense Guicciardini sur ce point. D'une part "celui
qui est capable [de gouverner] et le mérite" ne se
définit pas uniquement, dans la conception de Guicciardini,
par sa naissance et son appartenance sociale, mais aussi
par son mérite. La capacité acquise par l'expérience
joue un grand rôle dans l'accession aux charges et
aux responsabilités ; le maître mot de Francesco
Guicciardini, en ce domaine, c'est celui de discrezione,
le discernement, la capacité à tenir compte
de la situation concrète, du particolare ;
cette capacité-là ne saurait venir de la seule
naissance ou être apprise dans les livres : seule
l'expérience menée par quelqu'un à
qui la fortuna a donné une sorte d'intuition
innée peut permettre d'y accéder.
Par
ailleurs, les gens capables de gouverner sont toujours,
dans l'esprit de Francesco Guicciardini, désignés
par le Grand Conseil qui reste le "fondement de la liberté"
et le "prince de la cité" : on retrouve la différenciation
entre instance de la souveraineté -- qui est le fondement
même du régime républicain, sa possibilité
d'existence -- et formes concrètes du gouvernement.
Cette
aspiration à un gouvernement tempéré
s'appuyant sur le Grand Conseil va de pair avec l'idée
d'un ajustement progressif, d'une amélioration au
jour le jour. Les mots limare et correggere
reviennent fréquemment dans la bouche des protagonistes
du Dialogo ; Bernardo del Nero donne ainsi à
ses interlocuteurs la mission suivante : "andare cercando
destramente e co' modi civili di correggere e di limare,
se qualche occasione lo consentirà, i disordini del
governo (52)".
IV.
Penser l'échec : la morale de l'histoire
Pour que le gouvernement tempéré de Guicciardini
ait pu s'améliorer au jour le jour -- ou bien, tout
autant, pour qu'ait pu réussir le pari républicain
de Machiavel -- il eût fallu que la fortuna
de la cité fût favorable aux républicains.
On sait qu'il n'en fut rien.
Dans
les dernières pages de son Discursus, Machiavel
n'hésite pas à faire un pronostico
: "Mais pour en revenir aux dangers auxquels on s'expose
en demeurant ainsi, je vais faire un pronostic : que survienne
un incident et que la cité ne soit pas réordonnée
d'une autre façon, il adviendra l'une ou l'autre
des choses suivantes, ou les deux à la fois. Ou bien
apparaîtra un chef issu tout à coup du tumulte
(tumultuario e subitaneo), pour défendre l'état
par les armes et la violence ; ou bien un parti courra ouvrir
la salle du Conseil et donnera l'autre parti en proie."
L'une
et l'autre hypothèses se réalisèrent
de fait : en mai 1527, après le sac de Rome, les
républicains prennent le pouvoir et rétablissent
le Grand Conseil ; en août 1530, après huit
mois de siège, les troupes impériales et pontificales
ramènent les Médicis "par les armes et la
violence" : le Grand Conseil est définitivement supprimé
; en 1532, c'est le symbole même de la tradition républicaine
- la Signoria - qui disparaît. Après un ultime
épisode guerrier contre les exilés républicains
le 1er août 1537 à Montemurlo, Cosme Ier (choisi
au début de la même année comme duca
de Florence), établit, pour plus de deux cents ans,
une forme de gouvernement absolutiste et héréditaire.
En
décembre 1535, après la mort de Clément
VII, les exilés républicains présentent
une requête devant Charles Quint : ils rappellent
en effet que lors de la reddition de Florence en août
1530, une des clauses de l'accord précisait que les
vainqueurs s'engageaient à ce que soit "préservée
la liberté" de la cité (che sia conservata
la libertà) ; ils demandent donc à Charles
Quint que soit rétabli à Florence una forma
di governo libero. La réponse présentée
par les avocats du duca Alexandre de Médicis,
consiste à redéfinir le sens même du
concept de libertà : "le vrai sens de cette
clause c'est qu'il fut donné à sa Majesté
la libre faculté d'établir un gouvernement
populaire ou celui des Médicis ou n'importe quel
autre, à condition qu'il ne puisse [...] mettre la
cité, qui a toujours été libre sous
domination étrangère, la priver de ses privilèges,
prééminences et antiques libertés."
La libertà fiorentina n'est donc plus, dès
lors, le concept ambivalent qui désigne à
la fois l'indépendance de la cité et la forme
républicaine du gouvernement : elle ne renvoie plus
qu'à une indépendance, ô combien limitée,
dans une Italie sous domination espagnole. Par une ironie
amère de l'Histoire, ce tour de passe-passe théorique
fut rédigé par Guicciardini, en sa qualité
d'avocat du duca Alexandre : ce fut à lui
de redéfinir -- après l'échec terrible
de la tentative d'empêcher la prédominance
espagnole -- ce que pouvait être alors la libertà
fiorentina : rien de plus qu'un semblant d'indépendance
sous surveillance impériale.
L'échec
des républicains florentins peut être lu dans
l'évolution d'un ricordo de Francesco Guicciardini
: en 1512, alors qu'il n'avait pas encore 30 ans et qu'il
était ambassadeur en Espagne, il avait résumé
de la sorte ses aspirations politiques : "il est trois choses
que je désire voir avant ma mort : une république
bien ordonnée dans notre cité, l'Italie libérée
de tous les barbares et le monde libéré de
la tyrannie de ces scélérats de prêtres."
En 1528, il ajoute cette réflexion désabusée
: "mais je doute, même si je vis longtemps, de voir
jamais l'une d'elle". Dans la dernière rédaction,
en 1530, le ricordo ne figure plus : la necessità
-- la nécessité, la contrainte -- ne laisse
plus aucune place à la speranza et à
l'elezione : il n'y a plus de choix possible, encore
moins d'espoir de réussite.
Dans
les lignes finales de ses Commentari dei fatti civili
occorsi dentro la città di Firenze dall'anno 1215
al 1537, Francesco de' Nerli (qui écrit dans
les années 1540) semble tirer les ultimes conséquences
de cette situation : maintenant qu'est advenu le principat
de Cosme Ier, il n'est plus nécessaire de faire l'histoire
des fatti civili. Francesco Guicciardini, pour sa
part, ne partage pas ce point de vue d'une "fin de l'histoire"
heureusement advenue : il consacre les cinq dernières
années de sa vie, 1531-1540, au travail harassant
de rédaction de la Storia d'Italia et inclut
l'histoire de l'échec de la république bien
ordonnée qu'il appelait de ses voeux pour Florence
dans l'histoire globale de la période historique
qui commence, en 1494, avec l'arrivée de Charles
VIII. Dans une lettre du 7 août 1525, adressée
à Machiavel, il décrivait leur situation dans
ces termes : "je crois que nous avançons dans le
noir, avec les mains liées derrière le dos,
de sorte que nous ne puissions éviter les coups".
Son ultime décision politique -- exprimée
par l'incipit de l'Histoire d'Italie : "J'ai décidé
quant à moi d'écrire les choses advenues de
notre temps en Italie après que les armes des Français
[...] eurent commencé [...] à la troubler."
-- revient au fond, puisqu'on n'a pas pu schifare le
percosse, à tenter de comprendre du moins d'où
ils sont venus. Il y a là une posture éthique
qui ressemble fort à celle qu'exprimait Machiavel
dans le proemio du deuxième livre de ses Discorsi
: "le bien que la malignité des temps et de la fortune
t'ont empêché de réaliser, c'est le
devoir d'un homme bon de l'enseigner aux autres, afin que
parmi tous ceux qui ont appris quel il est, ceux qui seront
favorisés par le ciel puissent le réaliser."
Cette
leçon morale -- pas si paradoxale qu'il pourrait
y paraître -- n'est sans doute pas le moindre legs
des républicains florentins (53).
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Notes
(30)
La même analyse apparaît également dans
Discours, I, 49 : "Senza avere mai avuto stato
per il quale la possa veramente essere chiamato republica..."
et dans les Histoires florentines, III, 11.
(31)
"Si l'on voulait fonder un principat à Florence,
où il y a une très grande égalité,
il serait d'abord nécessaire d'y introduire l'inégalité
et de créer un grand nombre de nobles vivant dans
les châteaux et les villages qui, en accord avec le
prince, étoufferaient avec leurs armes et leurs partisans
la cité et toute la province."
(32)
"Je cesserai donc de raisonner sur le principat et je parlerai
de la république parce que Florence est un sujet
tout à fait apte à prendre cette forme et
aussi parce que Sa Sainteté s'y montre tout à
fait disposée".
(33)
"Coloro che ordinano una republica debbeno dare luogho
ad tre diverse qualità di uomini, che sono in tucte
le ciptà : cioè primi, mezzani e ultimi".
(34)
"J'estime qu'il est nécessaire de rouvrir la salle
du Conseil des Mille ou au moins de 600, qui distribueraient,
comme ils les distribuaient autrefois, tous les offices
et toutes les magistratures" ; Machiavel s'il est prêt
à "en rabattre" sur le nombre des participants au
Conseil (sur ce point voir également la Minuta
di provvisione), tient bon sur l'exercice de la souveraineté
: le Grand Conseil distribue les offices.
(35)
On aura reconnu le titre du chapitre : "In che modo nelle
città corrotte si potesse mantenere uno stato libero
essendovi ; o non vi essendo, ordinarvelo" ; ordinare
c'est mettre en place mais aussi introduire les "ordres"
- ordini - nécessaires.
(36)
"Quanto all'innovare questi ordini a un tratto, quando
ciascuno conosce che non sono buoni, dico che questa inutilità
che facilmente si conosce è difficile a ricorreggerla
; perché a fare questo non basta usare termini ordinari
essendo modi ordinari cattivi ; ma è necessario venire
allo straordinario, come è alla violenza ed all'armi,
e diventari innanzi tutto principe di quella città
e poterne disporre a suo modo".
(37)
Nous ne rentrons pas ici dans le débat sur les dates
de compositions respectives du Prince et des Discours.
Nous voulons simplement insister sur la nécessité
absolue de lire ensemble les deux textes, comme un tout,
en acceptant l'idée que le noyau de l'interrogation
machiavellienne est présent dans ce chapitre XVIII
et peut se dire en ces termes : "Comment Florence et l'Italie
peuvent-elles rompre avec la spirale sans fin de la corruption?"
(38)
"Da tutte le soprascritte cose nasce la difficultà
o impossibilità, che è nelle città
corrotte, a mantenervi una republica o a crearvela di nuovo.
E quando pure la vi si avesse a creare o a mantenere, sarebbe
necessario ridurla più verso lo stato regio che verso
lo stato popolare, acciocchè quegli uomini i quali
dalle leggi per la loro insolenzia non possono essere corretti,
fussero da una podestà quasi regia in qualche modo
frenati".
(39)
"Un uomo prudente che delle antiche civiltà avesse
cognizione", écrit-il (Discorsi, I, LV)
; on pourrait traduire civiltà par "les usages
/ les histoires des cités".
(40)
Dialogo..., op. cit., p. 336 : "gli uomini si
lasciono spesso ingannare tanto da' nomi che non cognosco
le cose" ; p. 400 : "tiranno tanto più pestifero
che quegli che fanno professione della tirannide, quanto
gli uomini, per la dolcezza del suo nome e per il titolo
che ha di libertà, che non vuole dire altro che giustizia
e equalità, si lasciono più facilmente ingannare
da lui."
(41)
Discorso..., op. cit., p. 285 : "essendo naturale
nella città nostra el vivere con libertà e
a populo" ; p. 225 : "Ne è altro la libertà
che uno prevalere le legge e ordini publici allo appetito
delli uomini particolari..." On peut comparer à
la formulation de Leonardo Bruni : "Hoc modo et libertas
viget et iustitia sanctissime in civitate servatur, cum
nihil ex unius an alterius libidine contra tot hominum sententiam
possit constitui" (Laudatio Florentinae Urbis,
in Hans Baron, op. cit., p. 260).
(42)
Dialogo..., op. cit., p. 336.
(43)
Ibid., p. 336.
(44)
Ibid., p. 337.
(45)
Ibid., p. 339.
(46)
Voir supra n. 15.
(47)
Dialogo..., op. cit., p. 312 : "Io non garderei
tanto di che spezie siano questi governi, quanto io arei
rispetto a porre mente dove si fa migliori effetti..."
(48)
Ibid., p. 412. Cette image est déjà présente
dans le Discorso di Logrogno, p. 277.
(49)
"Le plus beau et le meilleur des gouvernements [...] car
il participe de toutes les espèces de gouvernements,
d'un seul, de peu, de beaucoup." On remarque que la référence
aux "espèces" chassée par le primat accordé
à l'expérience et aux faits, réapparaît
subrepticement via Venise : tant il est difficile de penser
le nouveau sans se raccrocher aux langages rassurants de
la tradition!
(50)
Tout le deuxième livre du Dialogo del reggimento
di Firenze est consacré à la présentation
d'un tel mouvement.
(51)
Le ricordo CIX exprime avec efficacité cette
idée : "Non è el frutto delle libertà,
ne el fine al quale le furono trovate, che ognuno governi,
perché non debbe governare se non chi è atto
e lo merita, ma la osservanza delle buone legge e buoni
ordini, le quali sono più sicure nel vivere libero
che sotto la potestà di uno o pochi. E questo è
lo inganno che fa tanto travagliare la città nostra,
perché non basta agli uomini essere liberi e sicuri,
ma non si fermano se ancora non governano."
(52)
"Chercher habilement et selon les usages civils à
corriger et à limer, si quelque occasion le permet,
les désordres du gouvernement." Il faut souligner
que Guicciardini garde le même point de vue dans sa
Storia d'Italia, écrite dans les dernières
années de sa vie : malgré les désillusions
et, en définitive, l'échec de ses espoirs
politiques, il estime toujours que le Grand Conseil aurait
pu engendrer "un governo ben regolato e stabile"
si on avait pris les mesures pour introduire les "ordini"
adéquats (livre II, chap. II).
(53)
Cet article est la version revue et augmentée d'une
contribution à paraître, sous le titre "Le
moment du Grand Conseil", dans les Mélanges offerts
à Jacqueline Brunet, Besançon, Presses
de l'Université de Besancon.
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