Le rêve de d'Alembert
Textes utilisés:
Ce corpus de textes permet de dégager de multiples convergences, entre la politique du savoir de Venel et celle de Diderot. Dans notre dernier ouvrage [1], nous avons étudié l'idée d'encyclopédie comme une idée politique, ou, plus exactement, comme le témoignage d'une nouvelle politique de la raison, qui veut affranchir le savoir de ses hiérarchies traditionnelles, et de ses sectarismes arbitraires, hérités des « codes civil et religieux », mais aussi philosophiques. Dès lors, et dans cette perspective, Le Rêve peut être étudié comme une encyclopédie « en miniature », d'une redoutable densité. Sans prétendre, par conséquent, à l'exhaustivité, mais pour étayer notre propos, nous nous bornerons ici à esquisser l'étude d'une convergence entre la chimie de Venel et celle de Diderot. Ces deux auteurs tendent en effet à renverser la préséance habituelle de la physique sur la chimie, ainsi qu'en témoigne un emprunt de Diderot à Venel: celui de la théorie de la digestion.
La véritable difficulté commence, dans l'Entretien, lorsqu'il s'agit d'étendre la sensibilité à l'ensemble de la matière. Afin de justifier le monisme matérialiste, il faut démontrer qu'il existe une « sensibilité inerte » dans le « marbre » ou dans la matière dite morte. Le « sceptique » d'Alembert signale d'emblée ce problème. Si la sensibilité est « une qualité générale et essentielle de la matière », il faut que « la pierre sente » (Ver., I, 611-612) [2]. Diderot pose ainsi la question de la rationalité de « l'hylozoïsme » : il applique à ses propres hypothèses le test de l'hyperbole, ou de la généralisation, en examinant leurs ultimes conséquences. La critique de d'Alembert trouve une réponse dans les sciences de la nature. Diderot nous l'indique :
« Vous avez deux grands phénomènes, le passage de l'état d'inertie à l'état de sensibilité, et les générations spontanées; qu'ils vous suffisent : tirez-en de justes conséquences, [...] » (Ver., I, 633).
Le premier « grand phénomène » nous renvoie au constat expérimental qu'une matière inerte peut être animalisée. Diderot part de l'expérience de la digestion [3], pour expliquer à un d'Alembert quelque peu éberlué, que nous faisons de la chair en mangeant :
« Oui; car en mangeant, que faites-vous ? Vous levez les obstacles qui s'opposaient à la sensibilité active de l'aliment. Vous l'assimilez avec vous-même; vous en faites de la chair; vous l'animalisez; vous le rendez sensible; et ce que vous exécutez sur un aliment, je l'exécuterai quand il me plaira sur le marbre »
La digestion serait donc inexplicable, si la matière dite inerte ne possédait pas la sensibilité, c'est-à-dire une propriété de la matière vivante. Sur le plan philosophique, Diderot s'appuie sur le principe selon lequel « rien ne se fait de rien ». Ce principe exige que le corps ne soit pas Dieu: en digérant, le corps ne crée rien. La digestion se contente de lever « les obstacles qui s'opposaient à la sensibilité active de l'aliment » (Ver., I, 612-613).
Sur le terrain du savoir positif, Diderot s'appuie sur la théorie chimique [4] de la digestion, qui est soutenue par Venel [5]. Ce dernier nous explique qu'au XVIIIe siècle, il y a plusieurs théories sur la digestion. La secte des « solidistes » (Enc., V, 1000b, Digestion) a un point de vue simple et mécaniste. La digestion est assimilée à un « broiement » ou à une « trituration » (Enc., V, 1000b, Digestion) : l'estomac est un muscle dont les agitations violentes réduisent les aliments en « poudre » (Enc., V, 1001a, Digestion), et cette poudre se dilue dans les liqueurs de l'estomac. Venel oppose quatre objections à cette théorie mécaniste. Elle est d'abord démentie par la nature de l'estomac, « qui n'est dans l'homme qu'un sac souple et fort mou »: ce muscle mou est donc incapable des convulsions violentes qui seraient nécessaires à la trituration. De plus, une expérience de Réaumur a montré que l'estomac est capable de digérer des aliments qu'on a soustraits à l'action de trituration :
« L'expérience de M. de Réaumur, qui prouve que les oiseaux qui ont l'estomac membraneux comme celui de l'homme, digèrent des viandes enfermées dans de petites boîtes, où elle sont à l'abri de tout broiement, détruit jusqu'à l'utilité du petit ballottement ou de la compression douce que les physiologistes modernes ont retenue. »
Il apparaît ainsi que le mouvement de l'estomac, qu'il soit violent ou doux, ne joue aucun rôle dans la digestion. Même l'exemple de « certains oiseaux », tels que les autruches, qui avalent des cailloux, ne peut pas constituer un argument en faveur des solidistes. L'estomac des autruches n'a pas la même fonction que l'estomac humain: on a pu montrer que son activité correspond à la « mastication des quadrupèdes », parce qu'il ne fabrique pas le « chyle », c'est-à-dire le « liquide » alimentaire qu'on trouve chez l'homme. Plus fondamentalement, Venel met en cause la rationalité de la théorie mécaniste, en affirmant que « le chyle n'est pas une poudre de pain ou de viande étendue dans un liquide, mais une substance particulière » (Enc., V, 1001a, Digestion). Les solidistes supposent que la digestion est une simple division de l'aliment, et que le broiement suffit à fabriquer le chyle ou le liquide « alimenteux ». Le mécanisme manifeste ainsi sa propre insuffisance. La simple division de la matière ne peut rien créer de nouveau, et il faut donc supposer que le chyle préexiste dans les aliments :
« La trituration, quand bien même elle serait possible, serait inutile à l'ouvrage de la digestion, ou pour le moins très insuffisante, parce que les aliments broyés et atténués ne font pas du chyle, c'est-à-dire que le chyle n'est pas une poudre de pain ou de viande étendue dans un liquide, mais une substance particulière dont les principaux matériaux existaient dans les aliments en un état de ténuité que la digestion ne change point; et qu'ainsi cette partie vraiment alimenteuse ne doit pas être formée ou préparée par un broiement, mais simplement extraite » (Enc., V, 1000b-1001a, Digestion).
La digestion réalise donc une extraction, c'est-à-dire l'équivalent d'une expérience de chimie [6]. Selon Venel, l'estomac est un laboratoire de chimie que la nature a fourni à l'homme. On doit « se représenter la digestion comme une vraie opération chimique, ou plutôt comme un procédé ou une suite d'opérations chimiques » (Enc., V, 1001b, Digestion). Venel nous explique que le but du chimiste est d'obtenir une « dissolution » (Enc., X, 340a, Menstrues). La dissolution « n'est autre chose qu'une mixtion [7] artificielle, c'est-à-dire que l'apposition mixtive déterminée par l'union artificielle de deux substances diverses et appropriées ou miscibles » (Enc., X, 340a, Menstrues). Tout l'artifice du chimiste consiste à rapprocher des corps qui sont « miscibles », c'est-à-dire qui ont une « affinité » naturelle ou une « tendance à l'union mixtive » (Enc., X, 340b, Menstrues). La chimie se contente donc de révéler un art naturel de séparer et d'unir. Les corps doivent être imaginés comme des « agrégés » ou des « amas de particules continues », qui sont unies par une « force quelconque » (Enc., X, 339b, Menstrues). Lorsqu'on parvient à rapprocher deux de ces « agrégés », tout se passe comme si l'on établissait une concurrence entre deux forces. A la « force du lien agrégatif », s'oppose la « force de miscibilité [8] » (Enc., X, 340a, Menstrues), c'est-à-dire la force d'affinité entre les particules respectives des deux corps. Si cette deuxième force est plus grande que la première, il se produit une séparation et une nouvelle mixtion. Cependant, la dissolution ou la mixtion ne s'opèrent pas par des moyens mécaniques, car le dissolvant ou le « menstrue » n'agit pas de l'extérieur sur le corps dissous. Pour réfuter la chimie mécaniste, Venel s'appuie sur l'opposition traditionnelle de l'art mécanique ou humain, et de l'art naturel. Les dissolutions chimiques constituent le modèle même de l'art naturel, car l'instrument, le dissolvant ou le menstrue entrent eux-mêmes dans la mixtion. Il faut ainsi « savoir que dans toute dissolution les parties intégrantes du corps dissous s'unissent chimiquement aux particules du menstrue, et constituent ensembles de nouveaux composés stables, constants, que l'art fait manifester de diverses manières » (Enc., X, 339b, Menstrues). Le terme de « menstrue » ou de « dissolvant » désigne donc un instrument et une force d'affinité, qui sont immanents à la matière. Dans la réaction chimique, chaque corps est à la fois sujet et objet de la dissolution: la séparation et la mixtion s'expliquent par la même force d'affinité. Sans l'hypothèse de l'affinité, les mécanistes peuvent expliquer les divisions, mais non les mixtions des corps. Venel souligne que la chimie mécaniste ne peut
« résoudre cette objection victorieuse, savoir l'union de l'instrument avec le sujet sur lequel il a agi, car les instruments mécaniques se séparent dès que leur action a cessé, des corps qu'ils ont divisés, selon que leur diverse pesanteur, ou telle autre cause mécanique agit diversement sur ces différents corps » (Enc., X, 340a, Menstrues).
A la différence de l'art mécanique ou externe, l'art du chimiste se définit donc comme un art non violent, qui se contente de jouer sur les rapports ou sur les affinités naturelles entre les corps. Le chimiste se borne à préparer et à favoriser les dissolutions, en mettant les différents corps en contiguïté. A cette fin, il faut diviser les corps, de façon à créer le maximum de contact entre leurs particules. Pour créer ce contact optimal, le broyage ou la réduction en poudre reste insuffisant. Il n'y a qu'un seul « moyen » d'établir les contacts favorables à la dissolution, à savoir « que l'un des sujets de la dissolution soit au moins sous la forme liquide; car on voit bien, et il est confirmé par l'expérience, que des corps concrets, quand même ils seraient réduits dans l'état d'une poudre très subtile, ne sauraient se toucher assez immédiatement pour que leurs corpuscules respectifs se trouvassent dans la sphère d'activité de la force mixtive ». Les particules des corps « concrets » ou solides, même s'ils sont réduits en poudre, reste donc trop éloignées les unes des autres pour interagir. La liquidité autorise au contraire le maximum de contacts, parce qu'elle consiste dans « une espèce de bouillonnement », qui crée des « tourbillons » et des « courants » continus de particules. Cette liquidité s'observe dans la liqueur « aqueuse », mais aussi dans la liqueur « mercurielle » et dans la liqueur « ignée ». C'est ainsi que « le feu produit en son sein des tourbillons, des courants » (Enc., X, 340b, Menstrues). La digestion n'est qu'un cas particulier de dissolution. Le corps humain procède comme le chimiste :
« Un chimiste qui veut séparer une résine d'un bois, le divise ordinairement par l'une des opérations qu'il appelle préparatoires : il le pile, il le râpe, etc.., la mastication répond à cette opération préparatoire; il le place ensuite dans un vaisseau convenable; l'estomac et les intestins sont ce vaisseau: il emploie un menstrue approprié; les sucs digestifs sont ce menstrue: il applique une chaleur convenable; la chaleur animale est suffisante pour la digestion » (Enc., IV, 1001b, Digestion).
Le corps humain commence donc par piler et broyer l'aliment en mastiquant, puis il opère une dissolution par la voie ignée. Venel suggère que la « chaleur animale » ou la température normale du corps entretient le tourbillon des « sucs digestifs », c'est-à-dire des menstrues dissolvants, qui entrent en contact avec les molécules des aliments. Les forces d'affinité peuvent alors s'exercer: la matière alimenteuse se désagrège, et il se forme ce nouveau mixte qu'est le « chyle ». Diderot suit fidèlement cette explication de la digestion. L'Entretien avec d'Alembert reprend la comparaison entre le corps et un laboratoire de chimie, afin de prouver l'existence d'une sensibilité inerte de la matière. Diderot fait le même raisonnement sur la sensibilité, que Venel sur le « chyle ». Il faut que l'aliment contienne déjà les matériaux épars de la vie, pour que le corps puisse l'animaliser, en réalisant une nouvelle mixtion. Cette hypothèse d'une affinité entre toutes les formes de la matière est justifiée par deux phénomènes.
En premier lieu, les aliments végétaux sont déjà tout animalisés par les plantes. Les plantes digèrent à leur manière. Diderot dit laconiquement qu'elles se « nourrissent de terre » (Ver., I, 613). Cela signifie que les racines, par lesquelles la plante se nourrit, accomplissent la même fonction que l'estomac humain: elles extraient un suc nourricier de la terre humide en opérant une mixtion par la voie aqueuse [9]. Il y a donc une affinité entre la plante, qui est vivante, et la terre humide. A partir de là, la digestion humaine est ramenée au cas qui est mentionné par Venel. En se nourrissant à son tour de plantes, l'estomac humain accomplit la même opération que le chimiste: il sépare la sève ou le suc nourricier du « bois » (Enc., IV, 1001b, Digestion), ou de l'écorce de la plante.
En second lieu, Diderot attire notre attention sur le lien entre la nutrition et la reproduction. La reproduction prouve que la matière inerte des aliments subit une animalisation dans le corps. On sait que Buffon a en effet expliqué que lorsque la croissance du vivant est achevée, le surplus de la matière alimentaire sert à constituer la liqueur séminale. Le récit comique de la naissance de d'Alembert rappelle cette hypothèse :
« Je veux dire qu'avant que sa mère, la belle et scélérate chanoinesse Tencin, eût atteint l'âge de la puberté, avant que le militaire la Touche fût adolescent, les molécules qui devaient former les premiers rudiments de mon géomètre étaient éparses dans les jeunes et frêles machines de l'un et de l'autre, se filtrèrent avec la lymphe, circulèrent avec le sang, jusqu'à ce qu'enfin elles se rendissent dans les réservoirs destinés à leur coalition, les testicules de son père et de sa mère ».
Diderot veut ainsi établir une « formule générale du vivant » qui accorde une place centrale à la digestion :
« Mangez, digérez, distillez in vasi licito, et fiat homo secundum artem » (Ver., I, 614).
Le corps engendre donc en commençant par manger, ou par broyer la matière inerte. Ensuite, l'estomac digère: il extrait et réunit les particules animalisées, qui étaient déjà contenues dans l'aliment, mais à l'état dispersé. Le surplus de la matière alimentaire est alors distillé ou filtré dans le vase des testicules [10], et l'homme se fait selon l'art naturel du chimiste: dans la liqueur séminale, les animalcules se recombinent et reproduisent la forme du corps humain, en obéissant à des affinités qui sont déterminées par la « mémoire » du corps des géniteurs. Diderot ajoute que l'homme vieillit, et qu'il est peu à peu « dissous et rendu à la terre végétale » (Ver., I, 614) : ce qui est né de l'humus retourne à l'humus. Il y a ainsi une circulation perpétuelle et cyclique de la matière, qui réalise un « passage du marbre à l'humus, de l'humus au règne végétal, et du règne végétal au règne animal, à la chair » (Ver., I, 613), puis de la chair à l'humus. A partir de là, Diderot peut affirmer la continuité de la matière dite morte et de la matière vivante. Le monde apparaît comme un gigantesque alambic, ou comme un laboratoire de chimie, qui ne cesse de séparer et de réunir ses atomes. Chez Diderot, la sensibilité de la matière, qui est à la fois un tact et une pensée inconsciente, tient lieu de menstrue ou de dissolvant universel, en ce sens qu'elle explique toutes les mixtions et les séparations des molécules. La sensibilité passive de la matière désigne un état où les molécules qui sont douées d'affinités restent dispersées. Les molécules passent de la sensibilité passive à la sensibilité active par un contact qui permet aux forces d'affinité de s'exercer et de provoquer une mixtion.
Au terme de l'Entretien, Diderot suggère donc que la médecine de Montpellier, la chimie, et l'histoire naturelle de son temps parviennent au même résultat, en ce qui concerne la nature de la sensibilité. La chimie retrouve une sensibilité matérielle à travers les phénomènes de séparation et de mixtion. Les affinités chimiques constituent une sensibilité sourde pour les molécules. La médecine étudie la « sensibilité active » de la fibre nerveuse, qui s'exprime toujours par un langage de mouvements. L'histoire naturelle nous ramène, en définitive, à la chimie, en expliquant la reproduction et le vieillissement par des mixtions et des séparations. Le cercle des sciences imite le cycle de la vie, qui consiste lui-même dans l'alternance de la sensibilité passive et de la sensibilité active :
« Vivant, j'agis et je réagis en masse... mort, j'agis et je réagis en molécules... Je ne meurs donc point ?... Non, sans doute, je ne meurs point en ce sens, ni moi, ni quoi que ce soit... Naître, vivre et passer, c'est changer de formes...» (Ver., I, 637).
Toutes les sciences de la nature ont donc le même objet: elles étudient la sensibilité, à travers les différents états de la matière. La matière existe « en masse » ou « en molécules », c'est-à-dire à l'état de cohésion ou à l'état de dispersion, mais nous avons toujours affaire aux mêmes atomes. L'atomisme dit « hylozoïste », ou plus exactement vitaliste, représente alors la seule hypothèse qui soit capable de penser l'unité des sciences. En ce sens, l'adhésion de Diderot à l'hypothèse de la sensibilité « universelle » est aussi rationnelle qu'elle peut l'être, en s'appuyant sur les savoirs de son temps, qui ne constituent pas encore une « biologie », ou une chimie de type lavoisien. La chimie du XVIIIe siècle peut en effet abandonner le vieux rêve alchimique de la transmutation de éléments, parce qu'elle a établi que la matière sensible manifeste des propriétés différentes en fonction de l'état dans lequel on la considère : l'universalité de la sensibilité ne signifie donc pas son identité. Cest pourquoi la mixtion ne crée rien, mais elle fait apparaître des propriétés qui restaient inactives ou virtuellement efficaces, dans les atomes dispersés. Le matérialisme de Diderot satisfait alors au principe rationnel selon lequel « rien ne se fait de rien »: la vie est extraite de la matière, et non créée.
[1] [Retour]
E. MARTIN-HAAG, Un Aspect de la pensée politique de
Diderot : savoirs et pouvoirs, coll. Polis, Ellipses, 1999.
[2] [Retour] Les textes de Diderot sont cités soit dans lédition de L. Versini, Bouquins, Laffont, abrégée en "Ver. ", soit dans lédition de H. Dieckmann, Hermann, abrégée en "DPV ".
[3] [Retour] Au XVIIIe siècle, la digestion change de statut : d'objet mythologique, elle devient objet de l'expérience. Sur ce point, voir C. SALOMON-BAYET, L'Institution de la science et de l'expérience du vivant, 1978, pp. 339-360 et pp. 447-450 pour une chronologie des textes concernant la digestion.
[4] [Retour] L'intérêt de Diderot pour la chimie est bien connu: il a suivi les cours que Rouelle donnait au Jardin du Roi pendant trois ans. Diderot nous indique que Rouelle prétendait établir une classification non arbitraire des plantes, par "la voie de la décomposition ", c'est-È-dire en se fondant sur les propriétés chimiques de la matière. Les notes que Diderot a prises lors du cours de Rouelle sont maintenant éditées dans DPV, IX, 183 et suiv.
[5] [Retour] Venel (Gabriel-François) incarne, dans sa personne de médecin et de chimiste, le lien entre l'école de Montpellier et la chimie anti-mécaniste de l'Encyclopédie. Sur ce point, voir J. ROGER, Les Sciences de la vie dans la pensée française du XVIIIe siècle, 1971, pp.630-632: Diderot conna²t le médecin Bordeu depuis 1752, peut-être par l'intermédiaire de Venel, qui n'a écrit l'article Irritabilité que pour renvoyer È l'article Sensibilité de Fouquet.
[6] [Retour] Cette conception chimique de la digestion vient de Van Helmont et Willis. Sur ce point, voir C. SALOMON-BAYET, op.cit., 1978, p. 343: chez Van Helmont et Willis, la digestion suppose une fermentation. La salive, la bile et le suc pancréatique jouent le rôle de "levains ".
[7] [Retour] Sur la notion de mixte dans la chimie anti-mécaniste du XVIIIe siècle, voir DIDEROT, Cours de chimie de Rouelle, op. cit., en particulier pp. 216-219. Rouelle distingue les "éléments ", È savoir le phlogistique ou feu, la terre, l'eau, l'air, et le principe mercuriel de Becher, des "mixtes " et des "corps ". Les éléments ne forment pas directement les corps dont s'occupent les physiciens, mais ils forment les mixtes, par une juxtaposition, et sans se pénétrer. Les mixtes sont de deux sortes: les "agrégés " désignent des "corps homogènes ", dont les constituants sont de même nature; les "composés " désignent des mixtes hétérogènes. Rouelle précise que le lien de composition est plus fort, et plus difficile È défaire, pour le chimiste, que le lien agrégatif. La mixtion, qui résulte de l'apposition de deux agrégés, suppose une affinité, ou des éléments communs, entre ces deux agrégés.
[8] [Retour] Ibid., p. 340 a.
[9] [Retour] Cette analogie entre la digestion humaine et l'extraction de la sève par les plantes, est développée par Rouelle : "Les animaux se nourrissent aussi comme les végétaux. Les veines lactées qui prennent la nourriture ou le chyle dans les intestins comme dans un réservoir commun pour le porter ensuite dans le torrent de la circulation font l'office dans les premières voies des racines des plantes dans la terre. Le chyle se change en sang et parcourt les artères et les veines " (DPV, IX, 228). Rouelle ajoute que les "végétaux sont la seule nourriture ou médiate ou immédiate de tout corps qui a vie dans la nature ", puisqu'en se nourrissant d'animaux, l'homme se nourrit indirectement d'une matière végétale qui a été animalisée. Diderot suit la chimie de Rouelle et de Venel, et il en tire la conclusion logique qu'il y a une continuité entre la matière humide, la matière végétale, et la matière animale.
[10] [Retour] D'où l'imaginaire du corps qui valorise l'embonpoint, ou le fait d'être "charnu " sans être "chargé de graisse ". L'embonpoint est signe de fécondité, puisqu'il indique un surplus de matière alimentaire, et donc l'abondance de la liqueur séminale (Enc., V, 557b-558a, Embonpoint).