Philosophie espagnole à l'âge classique
Travaux
1996-1997
Pour l'année 1996-1997, le groupe a fonctionné avec
des réunions mensuelles et une série de conférences.
En plus des réunions consacrées
aux travaux de traduction, le groupe a organisé une série
de conférences :
Travaux
1998-1999
Karine Durin
"La notion de dialectique chez Graciàn"
La notion est complexe et recouvre de multiples aspects, preuve du lien indissoluble entre l'esthétique et la pensée qui l'habite. De cette conception dialectique qui est au principe de toute chose, découle une idée de la beauté qui est le fruit d'un rapport harmonieux d'éléments discordants. Il en va de même pour la vérité ingénieuse qui surgit d'un rapport et d'une tension entre des concepts éloignés. La vérité, comme la beauté, naît de la multiplicité, de la variété. La dialectique est son instrument, et le dépassement final des contradictions, le moyen de sortir des cadres imposés à une pensée dont le principe de vitalité et de création reste l'ingenio. La vérité et la beauté sont incompatibles avec la conformité et le conformisme. Par là Graciàn, lui-même jésuite contesté et contestataire, confirme son rapport ambigu aux Autorités, signalé par la publication de toutes ses oeuvres (hormis la plus "jésuite" de toutes, El Comulgatorio) sous pseudonyme.
De l'artifice esthétique à l'artifice moral il n'y a qu'un pas. La dialectique, comme on l'a montré, se trouve être, en effet, un des enjeux fondamentaux de l'Oràculo manual y arte de prudencia (1647), comme habitus, accoutumance, voire comme une stratégie psychologique (avec ce qu'elle comporte d'artifice) qui vise l'accommodement à la circonstance et aux présent des occasions. Le renversement du pour au contre, du mal en bien, du défaut en qualité est signalé par des notions clés, mises en évidence à ce propos. L'acte de prudence est bien aussi un art et, dans ce cas, un artifice et un exercice de retoumement du négatif en positif auquel se livre l'ingenio aidé ici d'une raison prudente. La dialectique révèle une fois de plus un rapport double au réel qui se précise et prend toute sa dimension philosophique et critique avec le Criticòn qui pourrait être considéré comme l'application de ce procédé, non seulement rhétorique mais vital au sens fort du terme. La dialectique apparaît ici dans la lecture à l'envers pour lire à l'endroit. Le renversement de l'erreur commune pour percevoir le sens "à l'endroit" est enfin une des clés du desengano. La notion de dialectique en vient à doter le texte gracianesque, bien que marqué par la tradition de la spiritualité jésuite (dont nous avons vu qu'elle n'était pas non plus sans rapport avec une certaine conception dialectique) d'une surprenante "modernité" philosophique.