Ateliers de réflexion


La ritournelle

Anne Sauvagnargues


II - La ritournelle chez Deleuze et Guattari.

Sources :
Commentaire de Mille plateaux, Minuit, 1980, p. 361 sqq.
Qu'est-ce que la philosophie ? Minuit, 1991, p. 174.

Deleuze et Guattari détaillent trois aspects de la ritournelle, le I, II et III qui ne constituent pas les trois moments d'une genèse mais les trois aspects (donnés simultanément ) d'une même « chose » : la ritournelle.

Lecture du texte

  1. Chaos
  2. Délimitation : premier cercle : territorialiser
  3. Synthèse : sortir du cercle : déterritorialiser

1] - L'enfant qui chante dans le noir. Premier usage de la ritournelle, sur le plan ontogénétique, la ritournelle est première, comme l'exercice de réassurance que l'enfance met spontanément en oeuvre quand elle se sent désorientée (il s'agit donc d'une « déterritorialisation » ressentie affectivement comme peur, présence du chaos (c'est la fin de III). L'usage de la ritournelle consiste à ordonner le chaos, ie. à s'orienter. La ritournelle a une fonction d'orientation. Elle met en oeuvre cette fonction d‘orientation grâce à un usage pré-esthétique : chantonner pour soi seul. La chanson opère cette fonction reterritorialisante d'orientation.

La ritournelle chantonnée met en oeuvre l'activité du corps. C'est ainsi que la rythmicité organique se développe en symbolique, l'humanité étant cette espèce biologique qui surdétermine le développement organique, l'extériorise et le projette en le réifiant à l'extérieur du corps organique : c'est l'instauration du monde symbolique, comme culture, monde commun d'objets et de symboles, espace d'échange matériel et symbolique et de circulation. Leroi-Gourhan explique ainsi dans Le geste et la parole comment la rythmicité du pas conduit au kilomètre et à l'heure, c'est à dire à la mesure objectivée de ces grands cadres de l'expérience que sont l'espace et le temps. Cela montre que l'espace et le temps ne sont pas d'abord donnés intellectuellement comme ces grands abstraits qui structurent l'expérience, mais d'abord vécu et agis dans le corps. Le cadre spatio-temporel est donné à partir du corps, comme une objectivation de la vie organique. Cette objectivation reçoit un traitement particulier avec l'émergence de l'humanité. Au sein même du développement humain, cette objectivation permet de saisir la coupure néolithique et le passage à la civilisation via la sédentarité, l'agriculture et l'urbanisation, l'architecture et l'écriture. Tous les peuples qui ont une architecture ont un calendrier, montre Leroi-Gourhan. De même que l'architecture est la structure matérielle qui réifie l'habitation et la concrétise à l'extérieur du corps, de même le calendrier extériorise le comptage du temps et l'objective à l'extérieur des êtres comptant, en utilisant un moyen de comptage, une mesure stable et vérifiable (l'architecture elle même, l'ombre du stylet sur le sol, sur le mur ou l'horloge - petite maison pour une âme qui compte (le mouvement). Le rythme comme élucidation de la nature dans son principe (l'espace et le temps sont les grandes déterminations de la nature) est donné das le chantonnement ou la ronde, qui apparaissent comme une apprentissage spatio-temporel.

La réassurance.

Le mouvement par lequel l'humanité projette son monde, voila la ritournelle : l'esquisse d'un centre stable, le début fragile.

D'autant plus fragile que cette ontogenèse n'est qu'une fiction, comme toute ontogenèse.

Car l'ontogenèse n'est jamais constituante, mais toujours déjà donnée. Pas de ritournelle sans usage savant de la langue et du chant. Le ritournelle est toujours seconde par rapport au centre. C'est pourquoi le chant de l'enfant dans le noir présuppose le 2.

Le 2 n'est donc pas second mais premier par rapport au 1. C'est un rapport de développement logique, non la succession causale d'une genèse historique, d'où la précision : « trois aspects d'une même chose et non trois moments d'une genèse ». L'opposition « aspects » et « moments » recouvre : le refus d'un développement téléologique, ie. d'une certaine vision finaliste de l'histoire. Il n'y a pas entre ces trois aspects de progrès. Il ne s'agit pas de trois moments liés et distingués par un progrès, une téléologie à l'oeuvre dans le temps. Il n'y a pas d'abord 1 puis 2 et 3. Car le premier moment n'est qu'un aspect, une vue prise sur le phénomène, qu'on peut également décrire en 2 ou 3. 1, 2 et 3 s'entre-déterminent plutôt.

2] Histoire de la civilisation.

Le création du centre doit s'entendre :

  • comme une activité de symbolisation qui appartient au vivant et qui constitue l'origine de l'art (Lorenz).
  • comme une ritualisation de la symbolisation que comporte l'habitation : 1) il y a habitation 2) l'humanité symbolise cette habitation, et détermine un centre lorsque l'univers symbolique mythique est organisé (Eliade). Ce qui revient à dire qu'on n'habite pas seulement dans un monde d'artefacts (nomades ou sédentaires, mobilier et architecture) mais aussi dans un monde d'événements et de significations (l‘habitation est symbolique autant que matérielle).

Ce que montrent les mythes d'orientation, c'est que toute habitation se réflechit en une structuration symbolique de l'espace (espace vécu, espace ritualisé). D'autre part, la question du centre sépare les civilisations historiques des civilisations temporaires : la sédentarité (avec ses corollaires politiques, institutionnels et intellectuels : constitution d'un Etat, architecture monumentale, écriture, rationalisation) s'appuie toujours sur la constitution d'un centre.

Le centre pose la question du statut du néolithique dans le développement de l'humanité. C'est pourquoi le 2 est du côté de la phylogenèse et répond au 1 (ontogenèse) tout en étant présupposé par lui.

Cette histoire de la civilisation s'appuie d'abord sur le concept vitaliste (car appartenant au vivant, non à l'homme) de territoire.

a) Le territoire marque le début de l'art (Lorenz, l'activité intense de symbolisation et la ritualisation des instincts).

b) le territoire conçu comme le centre du monde marque l'instauration d‘un monde humain par opposition aux territoires animaux (constitution politique et mythique du centre, antérieure à sa constitution géométrique : le centre comme égalité (situé à égalité de tous les points de la circonférence, cf. Vernant).

La ritournelle pose ainsi le problème d'une genèse anthropologique de l'art, compris comme philosophie de la nature.

(Début)



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