Agrégation : Cours et documents


Documents sur Machiavel



Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini
La civilità à Florence au temps des guerres d'Italie" :
"âme de la cité" ou "espèce d'ânerie" ?
(Suite)



II) La nouvelle république et les enjeux de la civilità


Dans son Histoire d’Italie (I,9), Francesco Guicciardini explique que l’arrivée en Italie des troupes françaises de Charles VIII, à l’automne 1494, fut à l’origine de la “variazione di quasi tutte le cose” et il précise qu’en plus des bouleversements que connurent alors les “façons de gouverner les Etats et de faire la guerre”, on vit apparaître “nuovi abiti e nuovi costumi”. L’usage du terme “civilità” et de ses dérivés -- et, plus encore, les enjeux politiques que recouvrirent l’emploi et le sens à donner à ces mots -- est à ranger dans cette “variation de toutes les choses”, dans cette apparition de nouvelles façons d’être et d’agir. Pendant toute la période qui va de l’institution de la République du Grand conseil, en décembre 1494, à la fin définitive de l’espoir républicain, après la reddition de la seconde république, en août 1530, la question de la forme du gouvernement florentin recoupe sans cesse le sens à attribuer à la civilità florentine : que l’on pense qu’il s’agisse là de l’anima della città (Francesco Guicciardini), ou, au contraire, d’una certa asineria (Lodovico Alamanni), il faut tenir compte de cet abito, de cette consuetudine des citoyens florentins (33).

La première constatation d’importance c’est que les tenants de la République du Grand Conseil nomment governo civile la forme du gouvernement qu’ils ont mis en place. C’est une nouveauté dans l’usage florentin : sous réserve d’inventaire, on ne trouve pas cette expression dans le langage politique ou historique avant 1494, et elle semble être utilisée exclusivement par ceux qui estiment que cette forme de gouvernement est “la meilleure de toute pour Florence” ; ainsi, on ne la trouve pas dans les textes de Machiavel ou de Francesco Guicciardini qui utilisent vita civile, civilità ou, plus fréquemment, vivere civile. Elle apparaît d’abord dans les textes de Savonarole -- qui, dans ses interventions décisives pour le choix du Grand Conseil, remarquait qu'il s'agissait d'une forme politique “jamais vue” à Florence -- mais on la retrouve trente ans plus tard dans les textes de ceux qui soutiennent la seconde expérience républicaine, qui débute en mai 1527, après la fuite des Médicis consécutive au sac de Rome. Dans le Trattato del reggimento e governo della città di Firenze, écrit par le dominicain durant les premiers mois de l’année 1498, on trouve la définition du governo civile : on l’appelle ainsi perché appartiene a tutti li cittadini (34). Ce gouvernement est le meilleur gouvernement (governo ottimo) pour la cité de Florence car il est le seul rempart contre la tyrannie d’un seul. Il est fondé sur l’equalità et la libertà et, comme elles, il provient d’une consuetudine si ancrée qu’elle s’est transformée en natura. Le remettre en question, ce serait donc refuser la forme de gouvernement conforme à la nature même du peuple florentin et voulue par Dieu pour permettre à ce peuple de jouer un rôle déterminant dans la réforme de l’Italie et de la chrétienté tout entière (35). Il faut tirer les conséquences de cette adéquation entre la consuetudine florentine et la forme du governo civile dont le Grand Conseil est la pièce maîtresse : “debbe ogni popolo che si governa civilmente, più tosto sopportare ogni altro male e inconveniente che seguitassi dal governo civile, quando è imperfetto, che lasciare surgere uno tiranno(36). Supporter les imperfections et les faire disparaître, en les limant et les corrigeant, ce sera donc la tâche au jour le jour des citoyens florentins ; mais une chose est certaine, la civilità, comme la libertà et l’equalità sont des valeurs perçues comme centrales, “naturelles” -- des habitudes converties en nature, de l’histoire incarnée -- par les tenants de la république du Grand Conseil, qui est précisément la réalisation matérielle du governo civile, du gouvernement qui appartient à tous les citoyens.

Civile est à nouveau employé en ce sens lors de la mise en place de la seconde république du Grand Conseil en 1527 : Donato Giannotti, qui fut durant cette seconde expérience républicaine secrétaire de la chancellerie et qui, suivant les indications de Machiavel qu’il avait fréquenté et écouté lors des rencontres des Orti Oricellari, remit sur pied la milice florentine, parle dans sa Republica fiorentina (écrite après 1530), de governo civile pour désigner la république de 1494 et celle de 1527, et, parce qu’il est certain que “Firenze è capace di uno governo ottimamente temperato”, il espère encore, malgré la défaite face aux troupes hispano-pontificales, pouvoir y introduire uno governo civile et universale (37).

Le débat qui se déroule à Florence sur la question de la forme du gouvernement ne peut donc faire abstraction de la civilità et de l’expérience réelle du governo civile. Cette expérience vécue par les Florentins a laissé des traces indélébiles, le “désir” du Grand Conseil est ressenti par beaucoup et constaté par tous, y compris par les partisans des Médicis, qui insistent sur la nécessité d’en tenir compte. La civilità, la civile usanza, sont des références obligatoires pour quiconque réfléchit sur la vie de la cité et les textes politiques de 1513 à 1527 en font foi. Que ce soit pour la détruire, pour la respecter au moins formellement ou pour tenter de la définir plus précisément, de lui donner forme dans un vivere di republica bene ordinata que Florence n’a peut-être jamais connu mais qu’il s’agit de faire naître enfin, la civilità, cette façon d’être qui dit la volonté de faire respecter l’égale dignité de tous ceux qui se considèrent comme citoyens de Florence, doit être un des points de départ de l’analyse politique. Le terme civilità définit en effet l’abito républicain, qu’un partisan du choix radical du passage au principat, Lodovico Alamanni, explicite en ces termes dans un texte de novembre 1516 : "in Fiorenza non degnano di fare reverentia a qualunche, benché la meritassi, si non a’ suoi magistrati" (38). On reconnaît, dans cette attitude, la civile equalità dont parle Machiavel dans les Discorsi (III, 3). Lodovico Alamanni estime pour sa part que c’est là “une certaine ânerie" (una certa loro asineria) (39) mais cette appréciation peu flatteuse ne l’empêche pas de penser que l’attachement des Florentins au souvenir du Grand Conseil et de l’ordine civile "è bene difficultà da farne conto". Il faut donc selon lui faire naître une nouvelle consuetudine (“bisogna... con la buona consuetudine cacciar la trista”, écrit-il dans un autre texte, écrit un mois plus tard, en décembre 1516 (40)), et transformer les citoyens en courtisans, en commençant par les jeunes : “e’ giovani facilmente si divezzarebbono da questa civilità et assuefarebbonsi alli costumi cortesani(41) ; ainsi, peu à peu, à “l’école” du prince, les Florentins finiraient par "ôter leur habit de citoyen" (cavare l’habito civile).

Le modèle de fonctionnement politique des premiers Médicis et particulièrement de Laurent le Magnifique est communément présent, comme point de référence obligé. Lodovico Alamanni, bien qu’il l’utilise pour démontrer précisément qu’on ne peut proposer à nouveau un tel fonctionnement (42), rappelle les façons de gouverner du Magnifique : “la stanza continua di Lorenzo vecchio in Firenze, l’usare lui habiti et costumi civili, il tenere lo stato in palazzo, il venire in piazza ogni dì et dare facile audientia et grata a chi la voleva, l’esser familiare co’ cittadini faceva che a’ cittadini pareva havere un fratello e non uno superiore...(43). Niccolò Guicciardini, dans un texte de 1518-1519, rappelle que Lorenzo vecchio "in modo questa città maneggiò che, quantunche a suo piacere la guidassi, pure per la sua prudentia faceva che a molti non pareva che dalla civile usanza uscissi" (44); son frère, Francesco Guicciardini, lui fait écho dans un texte de quelques années postérieurs (le Dialogo del reggimento di Firenze, écrit entre1521 et 1525) : “lo stato de’ Medici [era] accompagnato co’ modi della libertà e della civilità perché ogni cosa si governava sotto nome di republica e col mezzo de’ magistrati" (45). La plupart de ceux qui donnent des conseils aux Médicis sur la façon de régir Florence insistent de fait sur cet aspect ; il s’agit de gouverner “sotto nome di republica” en préservant la civilità, le "vivre civil". Goro Gheri, dans un texte écrit après la mort (en mai 1519) de Lorenzo di Piero, duc d’Urbin, recommande aux Médicis d’agir comme le faisaient “li altri antiqui di questa Ill[ustrissi]ma casa” c’est-à-dire “col governare civilmente et honorevolmente questa republica” ; si l’on envoie à Florence Ippolito de’ Medici, fils naturel de Giuliano de’ Medici, précise-t-il, il faut l’envoyer “civilmente e da ciptadino e poi nutrircelo civilemente”, car ce sera “cosa molto grata all’universale et sarà molto commendata(46). C’est d’ailleurs cette ligne de gouvernement “sotto nome di republica” qui sera suivie par les Médicis pendant la période 1512-1527 et il faudra l’expérience de la seconde république pour que le choix du principat soit définitivement fait.

Francesco Guicciardini et Niccolò Machiavelli utilisent tous deux fréquemment civilità et civile. Le point de départ commun des deux Florentins est la certitude que jamais Florence n’a connu une bonne forme de vivere civile et que, dans son histoire, on ne retrouve que des formes mauvaises de gouvernement, où proliféraient discordes et dissensions : dès lors, on ne peut se fonder sur une forme ayant déjà existé et la reproduire : on ne peut donc raisonner en pensant qu’il suffirait de reconduire une expérience déjà vécue par la cité (47). Par ailleurs, tous deux estiment qu’il est plus que temps, si l’on veut éviter que la cité ne perde “la libertà e lo stato(48) d’en finir avec la spirale de la corruption et de la “riordinare(49), c’est-à-dire de lui donner les ordini, les formes et les instances de gouvernements ainsi que les manières de gouverner qui permettraient sa survie. La civilità ne peut donc se réduire pour Machiavel et Guicciardini à l’abito républicain tel qu’il est et la forme politique qui doit en découler ne peut pas être purement et simplement la reprise d’une expérience du passé, que ce soit celle du gouvernement “sotto nome di republica” ou le governo civile tel que l’avaient fait vivre les partisans de la république du Grand Conseil. Il est notable que pour les deux hommes, la définition première d’un vivere civile, soit la même : est civile ce qui est “regolato dalle leggi(50); toute bonne forme de vivere civile implique que la loi ait prévu un système de récompenses et de peines (51). Au point de départ de la réflexion, donc, l’idée que ce n’est pas telle ou telle forme de gouvernement qui est ou n’est pas civile (52), mais que l’on peut parler de vita civile, de vivere civile quelle que soit la forme de gouvernement, à la condition expresse que la communauté humaine (la république au sens large du terme) vive “sous les lois”. Machiavel exprime clairement à plusieurs reprises cette idée qu’une royauté aussi bien qu’une république peut être une vita civile : ainsi Romulus est-il “il fondatore d’uno vivere civile” ; ainsi précise-t-il que l’on peut choisir de se diriger vers (“volgersi a”) “la vita civile” “o per via di regno o di republica(53). De semblable façon, Guicciardini indique qu’un “governo stretto” fait parfois mieux observer qu’un “governo largo” certains aspects des “buoni costumi e modo di vivere civile(54). Le vivere civile s’oppose clairement chez Machiavel à la potestà assoluta (Discorsi, I, 25), à l’autorità assoluta (Discorsi, I, 40), au despotisme des “princes orientaux” (Discorsi, II, 2), au fait de “violare le leggi” (Discorsi, I, 45), au fait de traiter des choses publiques dans des "lieux transversaux" (55). Guicciardini est moins prolixe mais il n’en oppose pas moins également le vivere civile à “uno stato di uno principe assoluto”.

Si leur analyse sur la nécessité de réformer le gouvernement de Florence et leur définition a minima du “vivere civile” comme façon de vivre “sous les lois” sont identiques, les réflexions des deux hommes divergent quand il s’agit pour eux de penser quelle peut être concrètement la façon de régir et de gouverner Florence, quel “reggimento”, quel “governo”, quels “modi di governare” peuvent permettre d’établir “uno vivere di republica bene ordinata” à Florence, pour le dire avec Guicciardini (Ricordi, Q2 17 et B 14) ou bien encore “una egregia dispositione d’una vera civilità”, pour utiliser les termes de Machiavel dans le Discursus florentinarum rerum. Dans son Dialogo del reggimento di Firenze, Guicciardini décrit un gouvernement tempéré qui, inspiré du modèle vénitien, tient compte des “humeurs” de la cité et de l’expérience récente de la république que les Florentins ont connue -- et appréciée -- de 1494 à 1512 : il estime qu’il doit y avoir un Grand Conseil, ouvert à tous les citoyens, “fondement principal et âme du gouvernement populaire”; un Sénat qui regrouperait “les citoyens les mieux qualifiés ”, sur les épaules desquels reposerait “l’autorité du gouvernement”; un gonfalonier à vie qui aurait “pour les affaires de la cité ce soin et ces pensées qu’ont les maîtres pour leurs propres affaires”. Guicciardini sait que ce gouvernement ne saurait être parfait ; il veut simplement qu’il produise les effets les moins mauvais possibles et insiste sur la nécessité qu’il y aura à “limare et correggere destramente e co’ modi civili e’ disordini del governo” : limer et corriger les désordres du gouvernement, adroitement et co’ modi civili, selon les usages de la cité, selon la consuetudine, l’abito des citoyens florentins, en préservant donc la civilità. Si l’on arrive à mettre en place un tel gouvernement, “buono e bene ordinato”, il est probable que les amis des Médicis finiront par oublier ces derniers et “si contenteranno molto bene in uno vivere civile(56). En filigrane de ce texte, dans lequel il faut lire “le désir” de l’homme Guicciardini, on sent au minimum un avertissement lancé aux Médicis : même si ces derniers restent finalement aux affaires et assurent leur prédominance sur la cité, ils doivent renoncer à instaurer le principat et s’employer à préserver “la libertà e la civilità” car celui qui les supprimerait, “torrebbe a Firenze la anima sua, la vita sua(57).

Dans les Discorsi, I, 55, Machiavel affirme qu’en Toscane il y a “tanta equalità che facilmente da ogni uomo prudente, e che delle antiche civilità avesse cognizione, vi s’introdurebbe uno vivere civile(58). Dans ce chapitre, Machiavel insiste sur la nécessité de tenir le plus grand compte des données historiques propres à chaque endroit : ainsi, là où l’on trouve de nombreux “gentiluomini che comandano a castella” il ne faut pas tenter d’introduire une forme de gouvernement républicain, précisément parce que ces “gentiluomini” “sono al tutto inimici d’ogni civilità(59). La Toscane, et particulièrement Florence, avec la “pari equalità” qui caractérise la façon de penser et d’agir de ses citoyens, est particulièrement apte à accepter une forme républicaine de gouvernement. La leçon tirée dans la dernière phrase du chapitre est on ne peut plus claire -- et définit une égalité parfaite entre vivere civile et republica : “Costituisca adunque una republica colui dove è o è fatta una grande equalità, ed all’incontro ordini un principato dove è grande inequalità : altrimenti farà cosa sanza proporzione e poco durabile (60).” Cette proposition semble entrer en contradiction avec un autre chapitre justement célèbre des Discorsi, le I, 18. Là, Machiavel insiste sur la difficulté, voire l’impossibilité qu’il y a à introduire ou maintenir une république dans une cité corrompue (61), et l’on sait que pour lui l’Italie et Florence sont les archétypes de la corruzione. On se souviendra qu’il estime d’ailleurs que, s’il fallait toutefois tenter de le faire, il faudrait “ridurla più verso lo stato regio che verso lo stato popolare(62). On est là en plein coeur des problématiques machiavéliennes : la difficulté évidente que Machiavel éprouve à trancher théoriquement la question, naît d’une contradiction bien concrète entre aspiration et “raison des choses”. Seule la volonté, après que tant d’occasions eurent été perdues de ne pas renoncer, permet à Machiavel de proposer quand même, de “parier” sur la possibilité d’une transformation qui mettra fin à la spirale de la corruption et sauvera Florence de la mort. C’est à cette aune, celle de la survie même en tant que cité libre, non assujettie à quelque autre puissance, qu’il faut évaluer les textes et les “paris”, tour à tour princier et républicain, du secrétaire florentin.

L’écriture du Prince, et sa dédicace à Lorenzo di Piero, est le premier de ces paris. Il faut l’entendre ainsi : si dans une cité corrompue il faut renoncer aux modi ordinari et en venir “allo straordinario” (en entendant dans l’usage de ces termes l’écho des ordini défectueux qui ne suffisent plus à faire vivre la cité), si l’Italie -- et Florence -- ont besoin d’un redentore (terme récurrent dans le dernier chapitre du Prince), alors il faut qu’un homme se décide à être “principe della republica” (expression présente dans les Discorsi, I, 10 et I, 33) et à “ordinare bene [la] republica” (Discorsi, I, 59). Le vivere civile sera alors atteint “per via di regno” (Discorsi, I, 55). Il y a d’ailleurs un chapitre du Prince qui semble fait pour définir cette possibilité qu’un membre de la famille Médicis saisisse l’occasion (63) : c’est le chapitre IX, De principatu civili. A comprendre ainsi l’écriture du Prince, on donne sens à des formulations récurrentes des Discorsi et des Istorie fiorentine (64) qui, parce qu’elles affirment à la fois la possibilité d’un “vivere civile” et d’une “città bene ordinata” avec un principat comme avec une forme républicaine de gouvernement, sèment le trouble dès lors que l’on veut faire de Machiavel soit un partisan acharné du principat, voire de la tyrannie, soit au contraire un farouche républicain qui écrit ses textes pour armer le peuple contre les tyrans, pour “mettre de fausses dents de chien dans la bouche des brebis”, selon la belle expression de Traiano Boccalini (65). Si l’on pense que la question qu’il se pose c’est celle de sauver la cité en lui donnant les ordini nécessaires, la contradiction cesse d’en être une : l’un ou l’autre, pourvu que l’on échappe à la corruption. Le chapitre IX du Prince se termine cependant par un paragraphe où il évoque une hypothèse qui semble (encore une fois !) entrer en contradiction avec l’affirmation fréquente selon laquelle une bonne forme de vie politique doit être réglée par les lois (Discorsi, I, 58), et qu’un bon prince est celui qui vit dans la soumission aux lois (“sotto le leggi” - Discorsi, I, 10), que “rompere le leggi” équivaut à “perdere lo stato” (Discorsi, III, 5) (66). En effet, Machiavel envisage la possibilité pour le principe civile de passer de “l’ordine civile allo [ordine] assoluto”, ce dernier définissant justement la possibilité pour le prince de ne pas être lié ("assoluto") par les lois. La formulation complète précise qu’il y a un danger pour le prince dans ce passage (“sogliono questi principati periclitare, quando sono per salire dall’ordine civile allo assoluto”) et Machiavel donne au prince désireux malgré cela d’effectuer cette “esperienzia periculosa” (expérience "dangereuse" que d’ailleurs on ne peut faire qu’une fois!) le conseil suivant : “E però uno principe savio debba pensare uno modo, per il quale li sua cittadini, sempre in ogni qualità di tempo, abbino bisogno dello stato e di lui: e sempre poi li saranno fedeli (67).” Ce conseil final nous paraît à comprendre en le mettant en rapport étroit avec une autre recommandation présente de façon réitérée dans ce même chapitre : “a uno principe è necessario avere el populo amico : altrimenti non ha nelle avversità rimedio(68). Il peut être nécessaire de renoncer à “l’ordine civile”, mais il ne faut jamais renoncer à "se gagner les peuples" (69). Cette amitié du peuple est le degré zéro de la civilità et du vivere civile, le gain minimum que l’on peut espérer retirer du pari princier ; c’est également la dernière limite avant la tyrannie, destructrice de toute civilità (70).

Après la mort de Lorenzo di Piero, le dédicataire du Prince (qui n’en avait pas accueilli les suggestions), le cardinal Giulio de’ Medici (le futur Clément VII) prend en charge les affaires de la cité. C’est à sa demande que Machiavel écrit le Discursus florentinarum rerum post mortem iunioris Laurentii Medices (71), qu’il adresse au pape Léon X. Il y rappelle la thèse que nous lui avons vu soutenir dans les Discorsi, I, 55, dans des termes très proches : "a volere creare uno principato a Firenze dove è una grande equalità, sarebbe necessario ordinarvi prima la inequalità e farvi assai nobili di castella e ville, i quali insieme con il principe tenessino, con l’armi e con l’aderentia loro, suffocata la ciptà e tucta la provincia" (72). Etant donné cette caractéristique, il estime nécessaire de renoncer au principat et propose l’instauration d’une république : "io lascerò il ragionare più del principato e parlerò della republica ; sì perché Firenze è subiecto aptissimo a pigliare questa forma, sì perché s’intende la Stà V. esserci dispostissima (73)" ; cette république devra “donner une place” (“dare luogho”) aux trois sortes de citoyens que l’on trouve dans toutes les cités : les premiers, les moyens et les derniers (74). Il faut donc une Signoria nuova et un conseil de 200 citoyens (dans ces instances les Médicis, pour leur sécurité, feraient siéger leurs amis et partisans), mais il faut également, pour satisfaire “l’universale de’ cittadini”, rouvrir la Salle et rétablir le Grand Conseil (75) : “giudico che sia necessario di riaprire la sala del consiglio de’ Mille o almeno di 600, i quali distribuissino, nel modo che già distribuivono, tucti gli uffici e magistrati(76). Cette nouvelle “occasion”, offerte par les questions que se posent les Médicis eux-mêmes sur la bonne façon de gouverner la cité, Machiavel tente, une fois encore, de la saisir par les cheveux... Il pense que Léon X pourrait être l’“uomo prudente che delle antiche civilità avesse cognizione” des Discorsi (I, 55) ou le “savio datore di legge” des Istorie fiorentine (III, 1) et, s’il ne le pense pas vraiment, il ne lui propose pas moins une façon de “s’immortaliser” en donnant naissance à “una vera civilità”. (77)


Notes

(33) Les textes cités sont tirés des éditions suivantes :

  • Savonarola, Prediche sopra Aggeo con il Trattato circa il reggimento e governo della città di Firenze, L. Firpo [éd.], Roma, Belardetti, 1965.
  • Donato Giannotti, Della repubblica fiorentina, in Opere politiche, vol. 1, F. Diaz [éd.], Milano, Marzorati, 1974 ou Republica fiorentina, édition critique de G. Silvano, Genève, Droz, 1990.
  • Les textes de Goro Gheri, Niccolò Guicciardini, Lodovico Alamanni sont publiés en annexe du livre de Rudolf von Albertini, Firenze dalla repubblica al principato, Torino, Einaudi, 1970, puis 1995 [1ère édition, Bern, A. Francke verlag, 1955).
  • Francesco Guicciardini, Discorso di Logrogno, in Opere, vol.1, E. Scarano (ed.), Turin, UTET, 1970 ; Dialogo del reggimento di Firenze, G.M. Anselmi, C. Varotti (éds.), Torino, Bollati Boringhieri, 1994 ; Ricordi, R. Spongano (éd.), Firenze, Sansoni, 1951 ; Storia d’Italia, S. Seidel Menchi (ed.), Torino, Einaudi, 1971.
  • Machiavelli, Il Principe e i Discorsi, S. Bertelli [éd.], Milano, Feltrinelli, 1960 ; Istorie fiorentine in Opere, vol. 2, A. Montevecchi [éd.], Torino, Utet, 1986 ; Discursus florentinarum rerum, in Machiavelli, Opere, Milan, Salerno, 1969-1971.

En français, on consultera

  • Guichardin, Avertissements politiques, Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini [éds.], Paris, Cerf, 1988 ;
  • Francesco Guicciardini, Histoire d’Italie, Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini [éds.], traduction par l’atelier de traduction du CERPPI de l’ENS de Fontenay-Saint-Cloud, sous la direction de Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini, Paris, Laffont, 1996, 2 volumes ;
  • Francesco Guicciardini, Ecrits politiques, Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini [éds.], Paris, PUF, 1997 ;
  • Savonarole, Sermons, écrits politiques et pièces du procès, J.-L. Fournel et J.-C. Zancarini [éds], Paris, le Seuil, 1993.

(34) Savonarola, Trattato...., I, 1 ("parce qu'il est celui de tous les citoyens" ; voir Savonarole, Sermons, écrits politiques et pièces du procès, op. cit., p. 144-145).

(35) Ibid., p. 150-152.

(36) Savonarola, Trattato...., II, 1 ("et donc tout peuple qui a un gouvernement civil doit plutôt supporter tout autre mal ou inconvénient qui pourrait naître de ce gouvernement, quand il est imparfait, que laisser se dresser un tyran" ; voir Savonarole, Sermons, écrits politiques et pièces du procès, op. cit., p. 156).

(37) D. Giannotti, Repubblica fiorentina, édition Silvano, op. cit., p. 100. Ce même Giannotti souligne que c'est bien en 1494 que l'on put fonder le governo civile (ibid., p. 98). On trouve également l'expression de “governo populare e civile” dans un texte adressé par Niccolò Guicciardini au gonfalonier Capponi (in Rudolf von Albertini, Firenze dalla repubblica al principato, op. cit., p. 391).

(38) Discorso di L.A. sopra il fermare lo stato di Firenze nella devozione dei Medici, in Rudolf von Albertini, Firenze dalla repubblica al principato, op. cit., p. 383 ("à Florence, ils ne daignent faire de révérence à quiconque, quand bien même le mériterait-il, sinon à leurs magistrats").

(39) Ibid.

(40) Ibid. ("il faut...avec la bonne habitude chasser la mauvaise").

(41) Ibid. ("les jeunes perdraient aisément l'habitude de cette civilité et s'accoutumeraient aux usages courtisans").

(42) Il exprime cette impossibilité en ces termes : “sendo epsa (i.e. la famiglia de’ Medici) in tale grandezza e in tale stato, gli sarebbe inconveniente servare l’ordine civile” ("puisque sa grandeur est telle et qu'elle occupe une telle position, il ne serait pas convenable pour elle de garder l'ordre civil"). On peut remarquer à ce propos que dans son Discursus florentinarum rerum, Machiavel fait la même remarque pour repousser la thèse de ceux qui estiment que l’on peut revenir aux formes du gouvernement et aux manières de gouverner des premiers Médicis : les “ temps ” ont changé et les Médicis “sono tanto divenuti grandi, che passando ogni civilità non vi può essere quella dimestichezza et, per consequente, quelle gratie” ("sont devenus si grands que, toute civilité étant dépassée, il ne peut plus y avoir cette familiarité et, par conséquent, ces grâces").

(43) Discorso di L.A. sopra il fermare lo stato di Firenze nella devozione dei Medici, in Rudolf von Albertini, Firenze dalla repubblica al principato, op. cit., p. 382 ("le fait que Laurent l'Ancien restait constamment à Florence, qu'il adoptait les habits et coutumes des citoyens, sa façon de diriger l'Etat depuis le palais [= de la Signoria], de venir sur la place chaque jour et d'accorder facilement une audience et une grâce à qui la demandait, d'être familier avec les citoyens faisait que les citoyens avaient l'impression d'avoir en lui un frère et non un supérieur").

(44) Discorso di messer Niccolò Guicciardini del modo del procedere della famiglia de' Medici in Firenze et del fine che poteva havere lo stato di quella famiglia, in R. von Albertini, op. cit., p. 367 ("mena cette cité de telle sorte que, tout en la conduisant comme bon lui semblait, il donnait pourtant à beaucoup l'impression, grâce à sa prudence, de ne pas s'éloigner des usages civils").

(45) F. Guicciardini, op. cit., p. 116 (="L'Etat des Médicis (...) était allé de compagnie avec les usages de la liberté et du vivre civil parce que chaque chose était gouvernée comme s'il s'agissait d'une république et par l'intermédiaire des magistrats", Ecrits politiques, op. cit., p. 197-198).

(46) Goro Gheri, Istruzione per Roma, in R. von Albertini, op. cit, p. 361 et 364 ("les autres aïeux de cette très illustre maison" ; "en gouvernant selon les usages civils et honorablement cette république" ; "selon les usages civils et en citoyen, et ensuite l'élever selon les usages civils" ; "chose très agréable universellement à tous les citoyens et qui sera fort louée").

(47) Francesco Guicciardini, Discorso di Logrogno (1512), op. cit., p. 249 : “el vivere nostro civile (....) è molto difforme da uno ordinato vivere di una buona republica” ("notre manière de vivre dans la cité (...) est bien différente de la vie bien ordonnée d'une bonne république", Ecrits politiques, op. cit., p. 52) ; voir aussi Dialogo del reggimento di Firenze, p. 44-48 et Machiavel : Discorsi, I, 49 : “così è ita (Firenze) maneggiandosi per dugento anni che si ha di vera memoria, sanza avere mai avuto stato per il quale la possa veramente essere chiamata republica” ; Discursus florentinarum rerum : “in quella non è stata mai né republica né principato che habbi havuto le debite qualità sua” (="il n’y a jamais eu, en elle [= à Florence], ni république, ni principat, qui ait eu les qualités requises"), op. cit. p. 393 ; voir aussi Istorie fiorentine, III, 1.

(48) Francesco Guicciardini, Discorso di Logrogno, p. 249, loc. cit.

(49) Voir, par exemple, Istorie fiorentine, III, 1 : “Firenze a quel grado è pervenuta che facilmente da uno savio datore di legge potrebbe essere in qualunque forma di governo riordinata.” ("Firenze en est arrivée à un tel stade qu' elle pourrait aisément être réordonnée, sous quelque forme de gouvernement, par un sage législateur"). Il apparaît ici que pour Machiavel la question centrale consiste en la possibilité d’être “riordinata”, quelle que soit la “forma di governo” ; voir, en parallèle, l’affirmation du Discursus florentinarum rerum : “nessuno stato si può ordinare che sia stabile, se non è o vero principato o vera Res Publica.” ("aucun Etat ne peut être ordonné de façon qu'il soit stable, s'il ne s'agit d'un vrai principat ou d'une vraie République").

(50) L'expression est tirée des Discorsi, I, 58 - et il n’est pas indifférent qu’elle soit attribuée à la fois aux principats et aux républiques (“l’uno e l’altro ha avuto bisogno d’essere regolato dalle leggi”-"l'un et l'autre ont eu besoin d'être réglé par les lois").

(51) Francesco Guicciardini, Dialogo del reggimento di Firenze, op. cit., p. 89 : “E però è stato necessario a chi ha ordinato e’ governi pensare a’ modi di mantenere fermi gli uomini in quella prima inclinazione naturale; e per questo furono trovati e’ premi e le pene, e’ quali dove non sono o sono male ordinati, non vedrete mai alcuna forma buona di vivere civile.” ("Et c'est pourquoi il a été nécessaire à ceux qui ont ordonné les gouvernements de penser aux moyens de maintenir fermement les hommes dans leur première inclination naturelle ; et pour cela furent trouvées les récompenses et les peines et quand il n'y en a pas, ou qu'elles sont mal ordonnées, vous ne verrez jamais aucune bonne forme de vivre civil", Ecrits politiques, op. cit., p. 171).

(52) La polémique avec les tenants de l’interdépendance entre “governo civile” et république du Grand Conseil est évidente, bien qu’elle ne soit pas menée en tant que telle ; on remarque par ailleurs que, précisément, jamais Machiavel et Guicciardini - contrairement à Savonarole - n’emploient l’expression “governo civile”, alors qu’ils utilisent fréquemment “vivere civile” et “vita civile”. Leur conception qui les pousse à attribuer le qualificatif de civile à toute forme de communauté humaine vivant “sotto le leggi” apparaît clairement dans la façon semblable dont ils désignent les auteurs qui ont traité de la vie politique dans leurs ouvrages : “coloro che ragionano del vivere civile”, “questi scrittori della civilità”; “coloro che danno delle cose civili regola” (N. Machiavelli, Discorsi; I, 3, I, 28 et II, 18) ; “quegli che hanno scritto del vivere civile” (F. Guicciardini, Dialogo del reggimento di Firenze, op. cit., p. 62).

(53) Discorsi, I, 26 : “qualunque diventa principe o d’una città o d’uno stato [...] e non si volga o per via di regno o di repubblica alla vita civile” (“ quiconque devient prince d’une cité ou d’un Etat [...] et ne se dirige pas, par le chemin d’un royaume ou par celui d’une république, vers la vie civile ”) ; on remarque que cette phrase, la première du chap. 26 reprend, comme il arrive fréquemment, la dernière phrase du chapitre précédent qui énonçait : “colui che vuole ordinare uno vivere politico, o per via di republica o di regno”; l’équivalence de “vivere politico” et de “vivere civile” est ici patente ; l’est également l’insistance, déjà perçue, sur la nécessité d’ “ordinare”, de mettre en place les ordini qui conviennent.

(54) Dans le Dialogo del reggimento, op. cit., p. 93-94: il parle des lois qui se font “[per] inducere buoni costumi e modo di vivere civile ; nel quale membro non si può negare che meglio provede e meglio e con più facilità fa osservare uno governo stretto che uno largo” (“[afin d’] inciter aux bonnes moeurs et à une façon de vivre civile ; pour cet article, on ne peut nier qu’un gouvernement étroit prend les meilleures mesures et les fait observer mieux et plus aisément qu’un gouvernement large ”, éd. fr. p. 176).

(55) Luoghi transversali : voir Discursus florentinarum rerum, op. cit., p. 405.

(56) "Seront très content dans un vivre civil", Dialogo del reggimento, op. cit., p. 239.

(57) "Oterait à Florence, son âme, sa vie", Dialogo del reggimento, p. 117 : (“Aggiugnesi che chi togliessi alla nostra città la sua civilità e immagine di libertà, e riducessila a forma di principato, gli torrebbe la anima sua, la vita sua e la indebolirebbe e conquasserebbe al possibile.”)

(58) Il y a "tant d'égalité que n'importe quel homme prudent, et qui aurait quelque connaissance sur les antiques vies des cités, y introduirait aisément un vivre civil".

(59) "Gentilhommes qui commandent des bourgs fortifiés" et qui "sont tout à fait ennemi de toute vie de cité".

(60) "Que celui qui se trouve là où il y a, ou là où a été instituée, une grande égalité constitue donc une république, et au contraire qu'il ordonne un principat là où il y a une grande inégalité : autrement, il fera une chose disproportionnée et peu durable".

(61) Discorsi, I, 18 : “Da tutte le soprascritte cose nasce la difficultà o impossibilità, che è nelle città corrotte, a mantenervi una republica o a crearvela di nuovo.” (“ De toutes les choses susdites, naît la difficulté ou l’impossibilité qu’il y a, dans les villes corrompues, à maintenir une république, ou à la créer ex novo”).

(62) “La ramener davantage vers l'état royal que vers l'état populaire ”.

(63) Principe, 26 : “E benché quelli uomini [i.e. Moisè, Ciro, Teseo] sieno rari e maravigliosi, non di manco furono uomini, et ebbe ciascuno di loro minore occasione che la presente. ” (“ Et bien que ces hommes-là soient rares et merveilleux, ce furent néanmoins des hommes et chacun d’eux eut une occasion moins grande que l’occasion présente ”).

(64) Voir plus haut les citations de Discorsi, I, 25, I, 26 ; voir également I, 10 : “Quanto sono laudabili i fondatori d’una republica o d’uno regno, tanto quelli d’una tirannide sono vituperabili” (“Autant sont louables les fondateurs d’une république ou d’un royaume, autant ceux d’une tyrannie sont blâmables”) ; Istorie fiorentine, III, 1: voir supra, note 49.

(65) Ragguagli di Parnaso, centuria 1, ragguaglio 89.

(66) Discorsi, III, 5 : “Sappino adunque i principi come a quella ora ei cominciano a perdere lo stato, che cominciano a rompere le leggi e quelli modi e quelle consuetudini che sono antiche e sotto le quali lungo tempo gli uomini sono vissuti.

(67) Prince, 9 : "et c'est pourquoi un prince sage doit penser à une façon grâce à laquelle ses citoyens, quelle que soit la qualité des temps, aient toujours besoin de l'Etat et de lui-même : et dès lors, toujours ils lui seront fidèles".

(68) Ibid. : "il est nécessaire à un prince d'avoir le peuple pour ami : autrement, il n'a aucun remède dans l'adversité".

(69) Ibid. : “guadagnarsi i popoli”. On trouve également cette injonction dans le chapitre VII, qui analyse les actions de César Borgia.

(70) A propos de l'analyse globale du Prince - et à titre d'exemple susceptible d'illustrer ce que nous affirmions au début de ce travail sur le manque de pertinence des analyses de Norbert Elias dans le cas florentin - on peut rappeler ici qu'Elias, dans une note, définit Le Prince comme "le premier manuel classique de la politique de cour" liée à l'Etat absolu, rédigé par un homme qui écrit "du point de vue du prince" (nous citons à partir de l'édition italienne du deuxième volume de Uber den Prozess der Zivilisation : voir N. Elias, Potere e civiltà, Bologna, Il Mulino, 1983, p. 332-333)...

(71) Entre décembre 1520 et janvier 1521.

(72) “Si l’on voulait fonder un principat à Florence, où il y a une très grande égalité, il serait d’abord nécessaire d’y introduire l’inégalité et de créer un grand nombre de nobles vivant dans les châteaux et les villages qui, en accord avec le prince, étoufferaient avec leurs armes et leurs partisans la cité et toute la province.”

(73) “Je cesserai donc de raisonner sur le principat et je parlerai de la république parce que Florence est un sujet tout à fait apte à prendre cette forme et aussi parce que Sa Sainteté s’y montre tout à fait disposée”.

(74)Coloro che ordinano una republica debbeno dare luogho ad tre diverse qualità di uomini, che sono in tucte le ciptà : cioè primi, mezzani e ultimi”.

(75)Senza satisfare all’universale, non si fece mai alcuna republica stabile, et non si satisferà mai all’universale de’ ciptadini fiorentini se non si riapre la sala”.

(76) “J’estime qu’il est nécessaire de rouvrir la salle du Conseil des Mille ou au moins de 600, qui distribueraient, comme ils les distribuaient autrefois, tous les offices et toutes les magistratures ”. Comme cela est souvent le cas chez Machiavel, il martèle sa proposition et la répète à quelques lignes de distance: “Però conviene, a volere fare una republica in Firenze, riaprire questa sala et rendere questa distributione all’universale; et sappia V.Stà che qualunque penserà di torle lo stato penserà innanzi a ogni altra cosa di riaprirla. Et però è partito migliore che quella l’apra con termini e modi sicuri, et che la toggha questa occasione a chi fussi nimico di riaprirla con dispiacere suo, e distruction et ruina de sua amici.” ("Aussi convient-il, si l'on veut faire une république à Florence, de rouvrir cette salle et de rendre cette distribution (i.e. distribution des offices) à tous les citoyens ; et que Votre Sainteté sache que quiconque pensera à lui ôter l'Etat pensera avant toute chose à la rouvrir. Aussi, c'est un meilleur parti que vous-même ouvriez la salle sous une forme et en des termes sûrs et que vous ôtiez cette occasion à quiconque serait votre ennemi de la rouvrir non sans déplaisir pour vous, et non sans destruction et ruine de vos amis").

(77)Et intra tante felicità che ha date Idio alla casa vostra et alla persona di V.Stà è questa di darli potentia et subiecto a farsi, con una egregia dispositione d’una vera civilità, immortale.” ("Et parmi tant de bonheurs que Dieu a donnés à votre maison et à la personne de Votre Sainteté, il y a celui de lui donner la puissance et la possibilité, grâce à l'excellente mise en place d'une vraie civilité, de se rendre immortelle").






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