Bibliographie
- Platon, Théétète,
151-157.
- Platon, Timée,
45b-d et 67c.
- Platon, République,
VII, 514-518.
- Diogène Laërce,
Vie, doctrines et sentences..., IX, « Pyrrhon
» (GF, p. 181 sq).
- Sextus Empiricus, Hypotyposes
Pyrrhoniennes, I, 10, trad. P. Pellegrin, Seuil, «
Points essais », p. 65 sq.
- M. Conche, Pyrrhon ou l'apparence,
Mégare 1973, PUF, 1984.
- J.-P. Dumont, Les Sceptiques,
fragments, PUF.
- J.-P. Dumont, Le Scepticisme
et le phénomène, Vrin.
- Descartes, Méditations
Métaphysiques I et II, AT IX.
- Berkeley, Traité
des Principes de la connaissance humaine, (section)(section)
1-33, GF, p. 63-83.
- Kant, Critique de la Raison
Pure, Esthétique transcendantale, (section)(section)
7-8.
- Kant, Critique de la Raison
Pure, Logique transcendantale, I, II (Analytique des principes)
: chapitre III, « Du principe de la distinction de tous
les objets en général en phénomènes
et noumènes ».
- Hegel, Phénoménologie
de l'esprit, A, 1 : la certitude sensible.
- Hegel, Phénoménologie
de l'esprit, B, IV, b3 : le scepticisme.
- Husserl, Méditations
cartésiennes, Vrin, méditations 1 et 2.
- Husserl, L'idée de
la phénoménologie, PUF, Épiméthée,
leçons 2.
- Heidegger, Être et
Temps, (section) 7 (traduction E. Martineau, Authentica,
1985).
- P. Duhem, Sozein ta phainomena,
essai sur la notion de théorie physique de Platon à
Galilée, Hermann, 1908, repr. Vrin, 1990, ch. 1, p.
3-27.
- G. Bachelard, « Noumène
et Micro-physique », in Êtudes, Vrin, 1970.
- G. Bachelard, Le nouvel
esprit scientifique, Introduction, (section) 1, et ch.
III, (section)(section) 1-2, PUF, 1934, rééd.
1991.
- Sartre, L'Être et
le Néant, Introduction, TEL, p. 11-34.
- Sartre, « Une idée
fondamentale de la phénoménologie... »,
in Situations Philosophiques, I, TEL, p. 9.
Introduction
1.
Le phénomène fait partie de ces concepts que l'on
a la chance de pouvoir suivre tout au long de l'histoire de la
philosophie : depuis son usage grec jusqu'aux ultimes développements
de la philosophie européenne, le terme est resté
en usage, et se trouve régulièrement investi d'une
puissance de pensée qui en fait un des lieux constant de
la réflexion sur les rapports de l'homme au monde.
2.
En effet, ce qui est en jeu dans le concept de phénomène,
c'est l'apparaître tel qu'il se trouve interrogé
dans ses rapports avec d'une part l'être qui apparaît
et d'autre part l'instance à qui il apparaît. Le
concept de phénomène, concept de la médiation
par excellence, atteste par sa pérennité même
de la persistance d'une enquête portant sur la nature de
ce qui se donne à voir. Pourquoi cette restriction subite
à la question du voir ? Parce que l'étymologie d'une
part, et l'usage d'autre part, nous obligent à prendre
en compte dans la question du phénomène la prédominance
de ce mode d'apparaître sur les autres (touches, ouïe,
etc...).
- a)
D'une part, le phénomène est avant tout lumière
(racine phôs, la lumière en grec ; le terme même
de phainomenon dériverait du moyen phanesthai, se montrer).
Il désigne ce qui se donne dans une certaine monstration.
C'est ce caractère de « se montrer » du phénomène
qui va diriger l'ordre des oppositions conceptuelles dans
lesquelles il se trouve engagé.
- b)
D'autre part, dans l'usage, on constate que les interrogations
sur la donation de l'apparence sont pratiquement toutes gouvernées
par l'un des « canaux » de la réceptivité
du sens externe : la vision. De Platon à Sartre, cette
prédominance du voir s'atteste sans cesse, et il est
rare de trouver une théorie de l'apparaître qui
tente de changer de paradigme (peut-être la physique
épicurienne, qui se révèle à l'étude
physique du contact).
3.
A partir de ces deux premiers constats, comment comprendre
le concept de phénomène ? Il est visiblement engagé
dans la question de l'apparaître, et se laisse donc interroger
dans trois directions principales : celle de son mode d'être
même, celle de la nature de ce qui apparaît en lui,
et celle de l'instance à qui cela apparaît.
- a)
Le phénomène, bien qu'il intervienne fréquemment
dans les théories de la connaissance en endossant «
le mauvais rôle », c'est-à-dire celui de
l'apparence comme illusion, tromperie, mensonge sur la vérité
de l'être, exige que l'on comprenne avec précision
son propre mode d'être. En effet, bien que repris dans
l'opposition de l'être au paraître, il ne peut
être simplement « rien » (ainsi le parricide
platonicien du Sophiste renverse le strict monisme parménidien
et reconnaît l'exigence d'accorder au non-être
un certain mode d'être). A admettre qu'il ne soit pas
l'être, on n'évacue pas pour autant la consistance
ontologique minimale de la phénoménalité.
- b)
Cependant, à prendre au sérieux sa nature de
« manifestation de », on doit admettre que le phénomène
est doté d'une nature « transitive » : il
faut alors l'interroger en direction de ce qui se donne à
voir en lui. Donne-t-il à voir immédiatement
la chose qui apparaît (et dans ce cas, l'être
ne se réduit-il pas à sa phénoménalisation
?) ; ou bien la masque-t-il définitivement (et dans
ce cas, comment parler encore d'un être qui ne se manifeste
en aucune façon : ne sommes-nous pas plongés
dans un monde phénoménal qui ne connaît
pas d'« arrières-mondes », pour parler comme
Nietzsche ?) ; ou bien enfin faut-il envisager un certain
type de « traduction » de l'être à
sa manifestation ? Dans ce cas, comment comprendre cette interprétation
qui s'indique dans le phénomène ?
- c)
Enfin, et bien qu'intervienne alors un certain retournement
de la problématique, il est impossible d'enquêter
sur le phénomène sans prendre en compte l'instance
à qui s'adresse le « se montrer ». En effet,
cette voie de l'enquête met en évidence la bipolarité
du phénomène (tendu entre l'être de ce
qui apparaît et l'être à qui cela apparaît)
: cela conduit-il à réduire le phénomène
à la pure médiation ? Est-il au contraire envisageable
que son apparaître soit en quelque manière réglé,
non plus par l'être qui se manifeste à travers
lui, mais par le sujet à qui il se manifeste ? En d'autres
termes, ne peut-on envisager une constitution subjective de
la phénoménalité ?
4.
A travers ces différents ordres de questionnement,
on aborde le phénomène dans le triple champ de l'ontologie
(mode d'être de l'apparaître), de la métaphysique
(question de la vérité de l'apparaître) et
de l'épistémologie (nature de ce qui est objet de
connaissance). Le fil directeur de cette triple interrogation
réside dans la nature mobile et médiate du phénomène
: quelle que soit le type exact du questionnement qui l'envisage,
c'est dans l'horizon d'un pôle de stabilité à
inventer que se déploie la pensée du phénomène.
C'est pour cette raison qu'il faut accorder une attention particulière
à l'élaboration de cette nature intermédiaire
et changeante du phénomène : en effet, c'est à
partir de cette première conceptualisation-utilisation
du phénomène comme jeu mobile et trompeur des apparences
colorées que l'on saisira ensuite les chemins de l'enquête
qui cherche à le ramener au connaissable. Cette première
conceptualisation se joue essentiellement chez Platon, dans le
débat sur la nature même de l'apparaître, contre
l'héritage du mobilisme héraclitéen qui transparaît
encore chez les sophistes (en particulier Protagoras).
Mais les conditions même de cette interrogation sur la vérité
de l'apparaître conduisent à reconnaître que
c'est dans les facultés de réceptivité et
de connaissance elles-mêmes que se joue peut-être
la signification du phénomène. Il faut alors se
pencher sur la constitution du phénomène dans la
sphère même de son apparaître à un sujet
: le doute cartésien en est le premier moment, la lecture
critique du concept de phénomène chez Kant le second.
En même temps que l'on se transporte ainsi sur le terrain
de la genèse subjective du phénomène, on
ne peut manquer d'en apercevoir les implications épistémologiques.
Enfin, puisqu'à le tendre entre l'être de la chose
et l'être de l'objet on perd de vue la primitivité
même de sa donation, il est nécessaire de revenir
au phénomène comme fait brut, source de toute saisie
dans l'évidence, et peut-être critère de l'évidence
elle-même : la phénoménologie, sous ses différents
visages, mène cette dernière enquête dans
laquelle les autres interrogations ne sont pas abolies mais mises
entre parenthèses, pour que puisse se déployer la
nature brute du phénomène comme monstration.
Introduction
Première partie / Deuxième
partie / Troisième partie et Conclusion