Agrégation : Leçons de philosophie


LE PRINCIPE



Bibliographie


Platon, Phèdre, 245d.
Aristote, Métaphysique, A, 1-3 ; D, 1 ; L, 1-10.
Aristote, Seconds Analytiques, I, 71b21 ; II, 19, 100b13.
Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 6, 1141a6.
Descartes, Discours de la Méthode, I-VI (AT VI).
Descartes, Lettre-préface aux Principes de la philosophie (AT IX).
Kant, Critique de la Raison Pure, Analytique transcendantale, II (analytique des principes), ch. 2.
Kant, Critique de la Raison Pure, Dialectique Transcendantale, II, ch. 2 (antinomie de la raison pure).

Introduction

1. Le principe est le terme que l'on saisit en premier. Il est donc immédiatement conçu en rapport à une série (un ensemble, une collection) qui s'ordonne par rapport à lui. L'étude du principe devra passer par l'étude des rapports entre le principe et la série qu'il gouverne : peut-il exister sans elle, agir sans elle, être saisi sans elle ? Ce type de question va rapidement rencontrer une ambiguïté fondamentale du mot principe, qu'il hérite de sa source latine (principium) comme de son ancêtre grec (arkhè) : le principe est à la fois ce qui est le plus vieux, le plus ancien ; et ce qui est le plus éminent, le plus important. Le principe est donc à la fois ce qui commence et ce qui commande.


2. Il faut rendre compte de cette dualité de sens, qui n'est pas exactement une polysémie : dans quelle mesure ces deux significations (que l'on peine à exprimer clairement tant elle sont encore proches pour nous) peuvent-elles se mêler ? Et inversement, dans quelle mesure est-il légitime de les distinguer ? La formule ramassée selon laquelle le principe commande et/ou commence fait spontanément signe vers une compréhension anthropologique du concept de principe. En effet, dire que le principe est à la fois l'ancien et le chef, c'est le placer d'emblée dans un type d'intelligibilité qui va faire jouer à plein la métaphore politique. Le principe réunit en lui les deux attributs que réunit toujours l'ancien : il est vieux, donc il a duré, donc il a prouvé en traversant le temps qu'il était valide. Ainsi il commande parce qu'il a duré : il ne s'agit plus cette fois de dire que le principe est une origine absolue, mais simplement qu'il est le plus ancien possible. Mais comprendre de manière éthique ou politique ce type de puissance reconnue à l'ancienneté ou à l'antiquité semble nous éloigner du sens gnoséologique du concept. Si, dans le premier cas, c'est la primauté chronologique qui est fondamentale, il semble que dans le second la primauté soit avant tout logique. Précisions encore la distinction : dans le champ anthropologique, le principe (princeps) sera le premier par institution (en éthique, en politique) ; tandis que dans le champ gnoséologique le principe (principium) sera la premier par nature. Faut-il alors distinguer deux sens du principe, l'un dans l'ordre des temps, l'autre dans l'ordre des raisons ? Mais, à accepter cette distinction, on risque de perdre le problème central, qui est : il y a identification possible de ce qui commence dans l'être et de ce qui commande dans l'intelligible.


3. Le principe nous permet donc de mettre l'accent sur un phénomène essentiel : ce qui commence l'être d'une série commande son intelligibilité. Mais il reste alors la question de la saisie de cette entité première : le principe, dans l'ordre de l'être, semble s'apparenter à la cause. Il est donc ce par quoi l'on rend raison de l'existence de la série qu'il engendre. Mais on réalise, dans la formulation même que l'on a employée, que c'est alors à partir de cette série que le principe se trouve visé : ainsi le principe, ontologiquement premier, serait en revanche toujours saisi dans l'après-coup de son déploiement. On envisage ainsi une dissociation de deux mouvements : un mouvement prospectif, par lequel le principe de l'être se déploie dans la série qu'il engendre, et un mouvement rétrospectif par lequel le principe de l'intelligibilité se laisse saisir à partir de la série qu'il gouverne. Dans quelle mesure y a-t-il coïncidence des deux, ou simple homonymie ?


4. Il semble bien que, déploiement ontologique ou rétrospection intelligible (induction), le principe ait à voir avec une certaine direction temporelle. Plus encore : sa primauté même, comme on l'a entrevu en l'assimilant à l'ancien, a quelque chose à voir avec cette temporalité de la série. Dans le mouvement temporel de cette série (qu'on le prenne dans une direction ou dans l'autre), le principe est un terme : a quo (ontologiquement) ou ad quem (gnoséologiquement), il représente la fin, l'instance enfin exceptée de l'écoulement qui en provient. S'il présente cette équivocité apparente, c'est sur le fond d'une nature unique : celle d'entité stable présidant au devenir ou à l'intelligibilité d'une série mouvante et variée. Plus précisément encore : dans un complexe de variations et de relations, le principe représente l'inconditionné-conditionnant, l'immobile-mouvant. Il est de sa nature d'être autre que ce qu'il produit. Le principe appartient-il à sa série ?


5. Quelle est cette série ? Le principe se dit en métaphysique, en logique, en épistémologie, en éthique, en politique, en esthétique. Les directions que l'on vient d'esquisser permettent-elles d'unifier la signification du principe ? La difficulté du sujet (qui est avant tout définitoire) consiste à savoir si l'on peut penser et définir le principe en dehors
de tout contenu empirique à lui donner. Autrement dit, y a-t-il un sens à entreprendre une enquête sur la nature du principe en général, et ne risque-t-on pas d'être obligé de reconnaître qu'il n'y a que des principes ? La distinction ne passe pas seulement entre le singulier et le pluriel, mais entre une étude qui se donnerait la possibilité de penser le principe comme tel, et une étude qui le considérerait comme indissociable de la série dont il est le principe : dans ce cas, il n'y aurait que des principes au sens définitoire (il n'y aurait donc pas de concept univoque du principe mais seulement des principes dont les définitions varieraient selon l'ensemble considéré). Ainsi la question qui va nous guider est : est-il possible de dire quelque chose « du » principe comme tel ?