Agrégation : Leçons de philosophie


L'ART A-T-IL UNE HISTOIRE ?


Conclusion

L'art a bien une histoire, l'histoire qu'il se donne en fonction des exigences du goût présent. L'histoire de l'art est la représentation que l'art se donne de son passé, c'est-à-dire de lui-même, qu'il pense sa norme comme naturalité donnée dans la culture (l'art-artisanat) ou comme création culturelle valable pour les productions de toutes les époques. Mais la valeur de l'oeuvre ou du genre excède leur situation historique. L'art possède en même temps, dans la mesure où il est reçu par le goût du présent, une validité transhistorique. Les oeuvres qui marquent échappent ainsi à leur insertion historique, parce qu'elles sont sauvées par le goût présent, qui salue leur actualité. Ainsi, les oeuvres qui sont réduites à leur statut historique sont considérées seulement comme des témoins de l'époque et minorées ; les oeuvres saluées comme grandes sont extraites de la succession parce qu'elle sont éprouvées comme durables (elles nous touchent au présent et ne se contentent pas de jouer le rôle second de symbole de la culture). La valeur de l'art ne se réduit pas à sa valeur historique, qu'il partage avec tous les témoins existants mais tient à la valeur esthétique qu'on lui accorde aujourd'hui et qui lui reconnaît une actualité présente.

Toute oeuvre d'art peut donc être pensée historiquement, mais sa valeur esthétique ne se réduit pas à sa valeur historique.Tous les artefacts humains subsistants ont le même intérêt, celui d'exister comme témoins du passé et d'offrir à la connaissance historique des indices de reconstitution objective du passé. La valeur historique est donc le signe de la volonté de durer des hommes. C'est ainsi qu'est né le souci pour l'histoire, enquête sur le présent ou le passé récent, par volonté de conserver l'événement, de lui offrir un support durable, plus durable que la mémoire humaine. Mais cela montre la parenté indiscutable entre le projet scientifique de l'histoire et l'ouvrage d'art : tous deux ont affaire au contingent. De même que Hérodote et Thucydide forment le projet de conserver l'événement, visent l'éternel, non une éternité intemporelle, mais une permanence durable dans l'actualité de la mémoire, - une actualité réfléchie, de même l'art conserve. Cela justifie l'affinité entre art et histoire, au point qu'on puisse confondre leur rôle dans la culture et dans l'éducation :

"on a nommé les sciences historiques belles sciences parce qu'elles constituaient la nécessaire préparation et le fondement des beaux-arts, aussi parce qu'on entendait par les sciences historiques la connaissance des produits des beaux-arts (éloquence et poésie)" Kant, Critique du Jugement, par. 44.

On aurait tort, bien sûr, de tenir histoire et art pour identiques, mais ils procèdent tous deux de l'exigence humaine de se hisser hors de la flèche contingente du temps : ils témoignent de la même volonté de conservation, du même souci de créer un jour une oeuvre qui soit durable.

Cette conservation n'ouvre pas un domaine intemporel qui échappe à la succession temporelle. Elle concerne l'actualité du sens que nous donnons rétrospectivement à la culture. Le passé n'est conçu qu'à partir de la tension vers l'avenir qui détermine le présent comme toujours rétrospectif :

"C'est seulement à partir de la plus haute force du présent que vous avez le droit d'interpréter le passé... L'égal ne peut être connu que par l'égal." Nietzsche, "De l'utilité et des inconvénients de l'histoire", par. 7 des Considérations intempestives, Folio, 1990, p. 134.


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Conclusion