Agrégation : Leçons de philosophie
LA FOULE
Conclusion
Il ne saurait pourtant être question de trancher entre ces deux conceptions de la foule. Il n'est que trop évident, au terme de ce parcours, que les difficultés récurrentes auxquelles sont confrontées les pensées de la foule résultent précisément du fait que, dans le mouvement de conceptualisation qui tend à faire passer ce terme singulier du pré-conceptuel au conceptuel, un énorme enjeu idéologique est chaque fois central. Ainsi, pour le dire de la façon la plus claire, la foule est une thèse sur la multitude. Autrement dit, le concept de foule ne s'élabore que comme une certaine perspective sur la multitude des hommes : qu'il faille la réduire à l'institué du peuple, pour se protéger à travers elle des résurgences de la violence primitive, ou qu'au contraire on lui accorde la puissance expressive et durable des collectivités humaines, c'est une intention qui se joue plutôt qu'une simple contenu de connaissance neutre.
La foule se saisit originairement à partir de sa faculté de presser, et cette pression des foules, si elle se révèle essentiellement à l'âge moderne, articule un débat politique dont on a rapidement envisagé les attendus noétiques et métaphysiques : il est possible de les reprendre d'un mot, en montrant que s'opposent une pensée des foules comme cortèges sans lieu ni visage, saisis de l'extérieur par le sujet qu'elles effrayent ; et une pensée de la foule comme multitude même de l'humanité, élément collectif dans lequel s'engendrent et s'articulent toutes les subjectivités. Ainsi la question de départ (comment une foule se subjectivise-t-elle ? comment « fait-elle » sujet malgré son nombre ?) doit être reprise d'un point de vue prescriptif plutôt que descriptif : il s'agit, en réalité, de se demander où l'on veut se placer pour penser la foule : dans son dehors, ou dans son dedans.
C'est en effet dans ce rapport de situation que réside finalement toute appréhension de la foule : il est impossible de saisir efficacement « du dehors » les processus de subjectivisation qui se joue à la surface des foules, puisque précisément dans une telle optique la foule n'est au fond que le lieu sans cesse plié et replié, parcouru de mouvements et de césures, dans lequel se dessinent des sujets aussi variés que les articulations des singularités qui y émergent. Les « effets de foule » sont aussi des « effets de subjectivité » : en cela, le rejet horrifié des contempteurs de la masse n'est peut-être lui-même qu'un symptôme, un cas particulier de ces effets de subjectivisation que produisent les foules - et qu'elles sont peut-être, au fond, les seules à produire.
Introduction
Première partie /
Deuxième partie / Troisième
partie
Conclusion