Philosophies de l'humanisme


Travaux 1996-1997

Pour la première année de fonctionnement du groupe, nous avons choisi de nous attacher à quatre thèmes précis, donnant lieu à quatre interventions dont les résumés sont disponibles ci-dessous :


La Métamorphose

D. Ottaviani

Au XIIème siècle, l'héritage aristotélicien arrive en Occident, par le biais des commentateurs arabes, comme Avicenne et Averroès, et vient ébranler l'ontologie scalaire, jusqu'alors dominante. Deux axes nous semblent déterminants dans cette thématique.

D'une part, ce que nous appellerons la métamorphose "verticale", qui reste tributaire d'une conception néoplatonicienne : le cosmos est hiérarchisé, et le changement de formes s'organise selon une verticalité plaçant la matière au plus bas degré ontologique, et la forme au plus haut. C'est là le trajet de la Divine Comédie de Dante, qui se présente comme une hiérarchie de degrés de lumière, de la matière obscure de l'Enfer à la Forme lumineuse du Paradis. Une telle conception est rendue possible par l'interprétation de la "puissance" matérielle, non comme simple potentialité, mais comme "force" : suivant Albert le Grand et sa conception de l'inchoatio formarum, la matière contient en puissance les formes qu'elle peut recevoir, mais ces dernières sont une force d'expansion, qui leur permet de se réaliser sans intervention extérieure, selon le modèle du développement de l'embryon. Une telle verticalité se retrouve chez Pic de la Mirandole, pour qui la "dignité" humaine vient de sa malléabilité, de sa capacité à s'élever, par sa liberté créatrice, au divin qui est en lui en puissance.

D'autre part, une métamorphose "horizontale", qui substitue la notion d'interprétation à celle de hiérarchie. L'humanité ne s'organise plus selon une échelle de valeurs ordinale ; chaque individu interprète, pour lui, ce que l'humain signifie. Chez Montaigne, les diverses expressions, les différents visages de l'humain sont des manières de vivre qui ont une même valeur. Alors que la catégorie fondamentale de la métamorphose verticale était la substance, celle de la métamorphose horizontale est la relation. Notre essence est incommensurable à celle de Dieu, nous ne pouvons accéder au divin et penser l'humain suppose alors que l'on glisse du niveau de l'essence à celui des relations, c'est à dire à la communauté des humains existants sous des formes plurielles.


Mémoire et histoire

O. Remaud

On fait souvent commencer la "philosophie de l'histoire" au XVIIIè siècle. A cet égard, la figure de Vico est exemplaire. Mais cette "philosophie de l'histoire" a une genèse. De Machiavel à Vico, en passant par le Della historia diece dialoghi de Patrizi, nous tenterons de déterminer les enjeux de cette genèse. A chacune de ces étapes, un concept apparaît, qui unit tous ces auteurs : la mémoire.

Où l'on découvre alors que la mémoire engage une véritable réflexion de philosophie politique, notamment autour du thème de l'action, et qu'elle propose un dialogue avec les éléments essentiels de la nouvelle science, tout particulièrement ceux de vérité et de méthode. Où, enfin, il apparaît que l'histoire qui procède de cette mémoire ne se réduit pas à une téléologie mais qu'elle laisse de la liberté aux événements comme à celui qui les interprète. Le plus important est de comprendre que ces trois discours - politique, scientifique et herméneutique - sont liés.

Identifier ce débat humaniste par excellence, c'est peut-être l'une des conditions pour élargir la définition de la "philosophie de l'histoire".


Discours et savoir

T. Dagron

Ce qui caractérise la pensée de la Renaissance, c'est certainement moins son pouvoir d'élaboration et de systématisation que sa conscience de la précarité des formes qu'elle constitue.

C'est la raison pour laquelle la question de la méthode du savoir se trouve mise au premier plan. C'est aussi pourquoi la crise de l'architectonique médiévale ouvre sur une discussion radicale de l'organon aristotélicien. En-deçà de Bacon, c'est à l'humanisme du XVè siècle que remonte l'exigence d'un "nouvel organon" (formulée dès Valla), comme en témoigne le grand nombre de "dialectiques" écrites à la Renaissance.

On tentera de voir comment ces dialectiques, dont on limite souvent la portée aux seuls aspects rhétorique et philologique, ont une incidence immédiate sur la définition de la philosophie proposée (par exemple par Pic et Ficin) ; comment, vu sous l'angle de la langue, le discours se pense comme figuration. On se proposera de montrer comment ces discussions autour de la méthode se trouvent reprises à l'âge classique, à propos de l'idée de "système du monde".


Temps et identité

L. Gerbier

La Renaissance, son nom même l'atteste, se détermine comme un certain rapport au temps : il s'y agit de récupérer un héritage passé non pas pour se borner à le répéter, mais pour en faire l'occasion d'une reconfiguration du temps présent. Cette tâche conduit les renaissants à remettre en question les schémas classiques de représentation de la temporalité humaine, collective ou personnelle.

On cherchera à comprendre comment ce que l'on appelle "humanisme" peut définir les conditions textuelles et conceptuelles d'élaboration d'une nouvelle identité de l'homme, à partir d'une situation dans le temps. Depuis les efforts d'un Pétrarque ou d'un Budé, qui témoignent encore d'une certaine "haine du temps" héritée de l'approche théologique de cette problématique, jusqu'aux innovations narratives ou noétiques de Montaigne ou de Descartes, c'est la définition même du sujet moderne que l'on peut saisir comme l'objet des travaux "humanistes".